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Tribune

La loi du silence. Les médias et la loi d’orientation scolaire.

Nous publions ici, sous forme de tribune libre et avec son autorisation un article publié le 14 janvier 2005 sur le site « Cétacé » du Collectif d’Action de Créteil : cinq jours avant que la grève des enseignants ne tente de brise la loi du silence (Acrimed)

Qu’ont dit les médias sur la loi Fillon et que disent-ils aujourd’hui ?

Après la grand messe sur le Grand débat national et le rapport Thélot [1]) - dont on tait aujourd’hui le contenu alors que ses conclusions ont été en grande partie reprises dans la loi - un grand silence s’est abattu sur l’élaboration de la loi Fillon destinée à remplacer la loi d’orientation scolaire de Jospin. Quand on dit "silence", on évoque la capacité étonnante des médias de toutes sortes à taire l’essentiel d’une loi. On sort quelques aspects du texte pour en critiquer ou en approuver le propos et on tait la construction même de la loi, son objectif à long terme.

Cette loi du silence prend plusieurs formes :

* l’assimilation à la loi d’orientation scolaire précédente, dans ses objectifs chiffrées (bac, brevet, études supérieures) notamment, qui permet pour les auteurs de cette manipulation grossière un ralliement potentiel des nostalgiques de la politique jospinienne.

* la minimisation de la portée du texte : "c’est une loi pour rien" (disent les socialistes), "cela manque d’ambition" (disent les centristes), "on finira le travail après 2007" (disent les conservateurs du Figaro). Ce discours est fort chez les journalistes spécialistes de l’éducation. Ainsi Libération par la voix d’E. Davidenkoff (« la réforme en onze leçons », Libération du, 13 janvier 2005) ridiculise le texte de Fillon comme peu important et tait des éléments essentiels de transformation de l’EN à long terme

* la négation du conflit entre les enseignants et leur ministre ("pragmatique") et par exemple le silence fait sur la grève dans l’éducation le 20 janvier englobée dans celle des fonctionnaires (France inter, ce matin, le 14 janvier).

C’est la stratégie du ministre qui l’a emporté dans les médias : "le texte ne fait que prolonger le précédent", "ce n’est pas une révolution", etc.

Pourquoi cette loi du silence sur le projet Fillon ?

* En premier lieu, les journalistes n’ont pas fait leur travail, habitués à recopier les communiqués de presse du ministre ou les dépêches d’agence, elles-mêmes réalisées sans travail de fond et sans recours au terrain. Il est intéressant de noter par exemple que Le Monde semble s’apercevoir ces derniers jours (le 12) du copier collé du projet de loi Fillon sur les directives de Lisbonne. Cetace et d’autres avait mis en valeur cette filiation (Derrière le rapport Thélot, la politique de l’Union européenne ? du 26.10), pourquoi les journalistes du Monde qui ont le temps de travailler sur les textes ne l’ont ils pas fait avant ?

* En second lieu il existe un double discours journalistique. On critique en aparte ce texte mais on tait sa portée anti-éducative. Un exemple. Le blog d’E. Davidenkoff, journaliste de Libération, développe (par son auteur et par les internautes) depuis fin décembre une critique de plus en plus virulente du ministre Fillon et de son texte. Pourtant les articles parus dans le journal restent dans la veine des précédents. Serait-il de bon ton aujourd’hui et après le mouvement massif du printemps 2003 de réformer l’Education à tout prix ?

* En troisième lieu, il est fort probable que l’essentiel des journalistes est d’accord avec le propos du ministre. Ces journalistes probablement parents d’élèves ne trouvent rien à redire au remplacement interne et ne posent pas la question de la qualité de l’enseignement ainsi remplacé, de la conséquence à terme sur la structure de l’EN. Le monde étant ce qu’il est, ceux-ci ne voient rien non plus à redire à l’entrée de l’entreprise à l’école, à la gestion managériale des personnels, à la culture du résultat imposée aux élèves et aux enseignants, à la décentralisation et à l’autonomie des établissements. Qui a détaillé les conséquences à terme de cet ensemble de mesures dans les médias audibles ? Il faut rappeler ici que nombre de mesures envisagées par Thélot-Fillon, furent déjà évoquées par Jospin-Allègre.

* En dernier lieu et il faut bien l’avouer, nos propres insuffisances à éclairer le fond de l’affaire. Nos "représentants" syndicaux restent figés, rivés sur des revendications obsolètes, mal exprimées et nous sommes incapables (même si certains s’y essayent de plus en plus nombreux) de porter cette critique devant la population et de reprendre à notre compte une transformation positive de l’Education nationale.

HG, le 14 janvier 2005.

 
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Notes

[1Voir, sur le site de Cétacé, une analyse d’une partie du rapport Thélot par une enseignante datée du 29 octobre 2004.

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