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L’héroïque combat de la presse pour conquérir « la crème de la crème »

par François Neveux,

La presse généraliste est en crise et perd son lectorat ? Qu’importe ! Pour nos grands quotidiens nationaux en quête de revenus publicitaires, la vraie bataille ne se joue pas sur le nombre de lecteurs, mais sur la fortune que ceux-ci possèdent. Alors, qui du Figaro ou du Monde a les lecteurs les plus riches ?

C’est un hebdomadaire libéral qui pose le regard le plus lucide, en peu de mots, sur la situation. Voici ce qu’écrivait Challenges le 24 novembre 2011, au sujet de la dernière étude d’Audipresse, qui mesure l’audience de la presse papier dans les classe sociales les plus riches : « Les groupes de presse ont l’œil rivé sur l’audience « premium » de leurs titres, révélée le 22 novembre par l’étude Audipresse Premium. Celle-ci calcule le taux de lecture des Français les plus riches et influents, chouchous des annonceurs. Mauvaise nouvelle pour le groupe Dassault : Le Monde affiche une belle avance sur Le Figaro. »

En trois phrases, tout était dit de l’enjeu que représente, surtout pour Le Monde et Le Figaro, l’étude publiée chaque année par Audipresse. Délicatement intitulée « étude AudiPresse Premium », elle porte sur « les cadres et dirigeants en entreprises, professions supérieures de la fonction publique, professions libérales et individus de plus de 18 ans résidant dans des foyers à hauts revenus », et, plus précisément, sur le taux de pénétration des journaux dans les classes supérieures – et donc sur le taux de pénétration des publicités que ces journaux leur destinent.

Le Figaro terrassé par Le Monde...

En 2011, il se trouve que Le Monde a gagné. Si vous aviez lu Le Figaro à l’époque de la publication de l’étude, vous l’ignorez sans doute : le quotidien de Serge Dassault n’a pas jugé utile de relayer l’information, - contrairement à l’année précédente, nous y reviendrons plus loin.

Si vous aviez lu Le Monde en revanche, et plus particulièrement l’édition du 23 novembre 2011, alors l’information n’aura pas pu vous échapper. Ce jour-là, le quotidien vespéral s’est appliqué à consolider sa réputation de produit haut de gamme auprès de ses annonceurs. Pas moins de trois pages successives étaient pour partie consacrées au traitement de cette étude d’une compétition gagnée haut la main par Le Monde. Les deux premières pages abritaient des publicités pour Le Monde. La troisième proposait un article d’information, si l’on peut dire, mais tout autant destiné aux annonceurs qu’aux lecteurs. Car s’il est une chose que les publicitaires doivent savoir, c’est qu’on ne peut pas se fier qu’aux publicités.

Deux publicités n’étaient pas de trop. Le Monde, en effet, supplante ses concurrents dans deux domaines, en étant à la fois « N°1 toutes marques confondues sur les premium »...

.... et « N°1 des quotidiens nationaux sur les premium ».

Ce que synthétise habilement, avec l’habillage clinique de rigueur, l’article de la page suivante : « Le Monde est devenu, en 2011, la première marque de presse sur tous les supports, du papier à l’Internet en passant par les applications pour mobile et les tablettes numériques, selon l’étude Audipresse Premium, réalisée par la société interprofessionnelle Audipresse auprès de 10 207 personnes interrogées, et publiée mardi 22 novembre. »

… Contrairement à 2010

En 2011, pas de doute, Le Monde a gagné. Mais l’année précédente ? À cette époque, les choses étaient plus complexes. Certes, Le Monde se vantait déjà, même sur le site d’Audipresse, auteur de l’étude, d’être « N°1 sur les premium ». Il en avait même fait un document PDF pour ses annonceurs, avec plein de graphiques pour faire sérieux.

Mais Le Figaro n’était pas en reste.

Car à l’époque, le Groupe Figaro « réussi[ssai]t un triplé gagnant » sur « les 2 % de foyers les plus riches (revenus supérieurs à 105.000 €) », selon un article paru le 9 décembre 2010 qui prenait soin de préciser que dans cette super catégorie, on trouvait « en tête des audiences le quotidien Le Figaro et les hebdos Le Figaro Magazine et Madame Figaro. Une performance réitérée par Le Figaro au classement des marques de presse auprès de ce top 2 %, avec une audience de 516.000 lecteurs (8 derniers jours). »

Généreux, Le Figaro félicitait même l’ensemble de la presse pour sa capacité à ne s’adresser qu’aux plus riches, autrement appelés, dès la première phrase de l’article, « la crème des crèmes ». Tout simplement. Un délice de consommateur bien plus goûteux, on l’imagine, que le lait caillé que sont les classes populaires.

En effet, après avoir détaillé par le menu ce qui distingue « la crème de la crème des crèmes » (les Premium Easy, vraiment plus riches que riches) de la « crème des crèmes » (les Premium Activ), Le Figaro analysait plus profondément les raisons pour lesquelles toute la presse pouvait se réjouir :

« La dernière livraison d’AudiPresse Premium, qui passe au scanner 80 journaux et 33 sites, confirme que "cette population est surconsommatrice de presse", comme le souligne Xavier Dordor, le directeur d’AudiPresse. "Chacun lit plus de 6 quotidiens et magazines différents par mois, deux fois plus que les Français pour ces mêmes titres", précise-t-il. La presse est même le premier média d’information des "premium". 79 % d’entre eux sont lecteurs d’au moins un news/pictures ou un quotidien. Et ils lisent près de 4 titres d’actualité ou sites d’info différents. »

La romance de la presse et des catégories supérieures

La presse est en crise ? Certains ne semblent pas vouloir le croire. Peu importent finalement la désaffection du lectorat populaire et la défiance généralisée envers les médias : l’essentiel est que les quelques personnes qui lisent encore la presse écrite nationale aient les moyens d’acheter ce que ses annonceurs vendent.

La romance ne semble pas devoir finir. La presse veille à ne pas froisser ses amants fortunés. D’abord par son prix, qui la rend inaccessible aux pauvres. Ensuite par ses orientations qui ne remettent en question l’économie de marché qu’à la marge - et encore, seulement quand il y a une crise. S’il devait un jour être question, par exemple, de taxer les riches, l’idée ne ferait son chemin qu’à condition que les riches l’aient eue eux-mêmes, ou qu’un candidat donné gagnant de l’élection présidentielle par les sondages la fasse sienne… et encore, dans ce cas-là, les grands journaux ne manquent-ils pas de faire planer la menace d’un exil fiscal des intéressés.

L’idée que le « peuple » serait plus soumis à l’influence des grands médias que les classes éduquées est une idée répandue, particulièrement chez lesdites classes éduquées. Cette étude d’Audipresse montre-t-elle involontairement le contraire ? On pourrait croire en effet que la passion des catégories les plus aisées pour l’information en fait un public particulièrement réceptif aux dogmes que diffuse la presse dominante...

François Neveux

 
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