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Guerre contre l’Irak

L’éditorialiste du Monde est-il opposé à la guerre ?

par Henri Maler,

Depuis le début de l’invasion de l’Irak par les troupes américano-britanniques, l’éditorialiste anonyme du Monde est presque muet sur la guerre en cours. Que se passe-t-il ?

Rapide inventaire, avant quelques commentaires, des éditoriaux du 14 au 27 mars 2003 [1].

Rapide inventaire

Quelques jours avant la guerre

Le Monde, jeudi 14 mars (édition datée du lendemain). Titre de « Une » : « Irak : Georges W. Bush ne veut plus attendre ». Titre de l’éditorial (p17) : « La Serbie oubliée ».

Le Monde, vendredi 15 mars (édition datée du lendemain). Titre de « Une » : « La mort de Jean-Luc Lagardère ». Titre de l’éditorial : « Un destin français ».

Le Monde, lundi 17 mars (édition datée du lendemain). Titre de « une » : « Irak : le souffle de la guerre ». Titre de l’éditorial : « L’échec diplomatique de George W.Bush ».

Le Monde, mardi 18 mars (édition datée du lendemain). Titre à la « Une » : « Bush à Saddam : l’exil ou la guerre ». Titre de l’éditorial (p.18) : « Décentralisation ».

Le Monde, mercredi 19 mars (édition datée du lendemain). Titre à la « Une » : « La guerre, son heure, sa légalité ». Titre de l’éditorial (p. 15) : « L’échec de Blair ». Alors que Thierry de Montbrial « pour Le Monde » se situe - c’est le titre - « Au-delà de l’affrontement ».

Première semaine de l’invasion

[Le Monde, jeudi 20 mars (édition datée du lendemain. Titre de la « Une » : « La guerre américaine a commencé ». Titre de l’éditorial (p.15) : « Et après ? » [2].

On peut y lire ceci qui aux yeux du Monde est, semble-t- il, l’enjeu principal de la guerre : « Rien n’indique que le mécanisme d’inspection onusien, doublé d’une pression militaire, n’aurait pas fini par désarmer Saddam Hussein. Les Etats-Unis ont choisi d’abandonner unilatéralement cette voie. Rien ne les autorise à la court-circuiter à nouveau lorsque le temps sera venu de reconstruire l’Irak. Il faudra repasser par les Nations-Unies  ».

Le Monde, vendredi 21 mars (édition datée du lendemain). Titre de « Une » : « La coalition américaine envahit l’Irak ». Titre de l’éditorial (p. 18) : « L’Europe déchirée »

Le propos ? « La crise irakienne a agi comme un révélateur des conceptions opposées qui traversent l’Union européenne ». Et Le Monde de soutenir, comme voie qui lui semble « la plus prometteuse », la démarche qui consisterait pour les Européens à « s’interroger sérieusement sur ce qu’ils veulent faire ensemble ». Une interrogation … qui promet !

Le Monde, samedi 22 mars (édition datée du lendemain). Titre de « Une » : « L’Irak sous le feu roulant de la guerre ». Editorial (p. 13) : « Guerre et pétrole ». Et dossier central, de 8 pages : « La nouvelle fracture mondiale ».

L’éditorial a pour objet d’expliquer ce que résume sa première phrase : « Le but des Etats-Unis en Irak n’est pas le pétrole, contrairement à ce qui est affirmé dans les manifestations contre la guerre (…) ». Quant au dossier, il donne la parole a des experts, qui expertisent exclusivement sur les relations transatlantiques, les Nations unies et l’Europe. Et le reste du Monde ? Ce sera pour une autre fois.

Le Monde, Lundi 24 mars (édition datée du lendemain). : Titre de « une » : « Marche sur Bagdad, résistance irakienne ». Titre de l’éditorial (p. 16) : « L’autre guerre ». Un éditorial vigoureux sur la « guerre oubliée » de Tchétchénie.

Le Monde, mardi 25 mars (édition datée du lendemain). Titre : « La bataille de Bagdad commence ». Titre de l’éditorial (p.19) : « Pas d’interview ». Un éditorial vigoureux condamnant les interviews de prisonniers de guerre.

Le Monde, mercredi 26 mars (édition datée du lendemain). Titre de « Une » : « La meurtrière bataille des villes ». Titre de l’éditorial : « Fiscalité et croissance ».

Le Monde, jeudi 27 mars (édition datée du lendemain). Titre de la « Une » : « Où va la guerre de George W. Bush ? ». Titre de l’éditorial : « Les morts de la guerre ». Des commentaires sur les risques, dangers et menaces du déroulement de la guerre. Donc ?

Quelques commentaires

Alors que dans les guerres précédentes, l’éditorialiste anonyme du Monde dispensait généreusement ses conseils politiques et militaires au « camp » qu’il avait choisi de soutenir  [3], cette fois, il s’abstient.

Préférant tirer le bilan des échecs diplomatiques de Bush et de Blair et des conséquences des divisions entre les gouvernements européens (ou réfuter les arguments relatifs aux objectifs pétroliers du « conflit »), l’éditorialiste ne se laisse pas distraire par la guerre elle-même. Mieux : il se consacre prioritairement aux problèmes que cette guerre rejette tragiquement dans l’ombre (la guerre en Tchétchénie ou la situation en Serbie) ou à d’importantes questions franco-françaises (comme la décentralisation ou le report des baisses d’impôt).

Ainsi, alors que dans les guerres précédentes, les éditoriaux du Monde éclairaient les pages d’information et s’éclairaient par elles, Le Monde prend le risque de condamner ses lecteurs à se forger une opinion sans le secours de son éditorialiste. Les lecteurs s’en remettront-ils ?

Journal d’opinion - quoi qu’il en dise - Le Monde n’aurait pas d’opinion ?

Presque. Car Jean-Marie Colombani s’est chargé de nous dire où se situe son journal : « Au-delà du "non" à la guerre » (Le Monde, édition datée du 25 mars 2003).

D’où l’on peut déduire ceci, sans forcer le trait : Le Monde était contre le déclenchement de la guerre, mais, comme la plupart de ses confrères de la presse écrite, il ne s’oppose pas à la guerre elle-même  : il est de préférence ailleurs, en deçà et au-delà…

Du moins dans ses éditoriaux. Quant aux articles d’information, ils s’efforcent de présenter un "récit de la guerre".

 
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Notes

[1Version provisoire, partiellement revue le 30 avril 2003.

[2Ce numéro manquait à à ma collection, lors de la première édition de cet article, le 27 mars 2003. Je m’inquiétais (un peu) : "Pourvu que Le Monde n’ait pas condamné la guerre sans que je m’en aperçoive…". Aucun risque : Le Monde se prépare à contester ... l’après-guerre s’il n’est pas conforme à ses voeux

[3Par exemple, lire, sur la guerre du Kosovo : "Le Monde en guerre".

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