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L’autocritique des médias ? Un exercice de style...

Dans Le Nouvel Observateur du 5 octobre 2001, Jean-Claude Guillebaud consacre sa chronique à l’autocritique des médias. Titre : « Les limites du débriefing »

Et de s’interroger sur une « tendance » nouvelle. Extraits :

« Quelle tendance ? Celle qui pousse désormais l’appareil médiatique à s’autocritiquer à mesure ; celle qui fonde cette nouveauté assez passionnante qu’est le débriefing quasi instantané des médias par eux-mêmes. ». Ainsi : « Les médias ont appris à mettre en marche une espèce d’antivirus protecteur, à s’imposer une régulation déontologique en continu. Est-ce bien ? On aurait envie de se réjouir. Après tout, cette capacité des médias à s’autoréguler semble une bonne nouvelle. Hélas ! (…) ».

Pourquoi « hélas ! » ? Réponse :

« On garde donc en tête ces innombrables discussions, objections, dépiautages. Et, pour tout dire, on sort de tout cela assez déçu. Pourquoi ? Parce que les médias ont décidément du mal à traiter de leur propre fonctionnement sans succomber à un effet d’aplatissement. »

Bilan :

« C’est toute la question redoutable du journalisme en temps de guerre qui était posée. Or, à l’évidence, ni cette question ni les autres ne purent visiblement être traitées par les médias eux-mêmes, c’est-à-dire du dedans. Conclusion, il faut absolument à l’appareil médiatique un ailleurs, une instance d’appel, un regard extérieur et critique.(…) »

Voir ci-dessous l’article complet [1]


Les limites du débriefing

« Certains médias s’imposent une autorégulation déontologique en continu. Est-ce une bonne nouvelle ? Une chose est claire : après la tragédie new-yorkaise, on aura vu s’accentuer dans les médias une tendance déjà perceptible depuis les récents drames contemporains : guerre du Golfe, Rwanda, Kosovo, etc. Quelle tendance ? Celle qui pousse désormais l’appareil médiatique à s’autocritiquer à mesure ; celle qui fonde cette nouveauté assez passionnante qu’est le débriefing quasi instantané des médias par eux-mêmes.

La couverture médiatique d’un grand événement devient matière à information, à enquête, à commentaire critique. Et cela sans délai. Aujourd’hui, en effet, c’est en temps réel qu’on s’interroge sur les dérives, les insuffisances, les conformismes ou les ratages imputables aux médias. Ce qui constituait autrefois des thèmes de colloques, des sujets de livres ou d’articles de revue l’examen postérieur et critique d’une couverture journalistique est maintenant traité d’un même élan. Les médias ont appris à mettre en marche une espèce d’antivirus protecteur, à s’imposer une régulation déontologique en continu. Est-ce bien ? On aurait envie de se réjouir. Après tout, cette capacité des médias à s’autoréguler semble une bonne nouvelle. Hélas ! Pendant une semaine, on a délibérément écouté un grand nombre de ces débats autour du journalisme et de l’attentat de New York : les émissions « Ripostes » (La Cinquième) ou « Arrêt sur images » (Arte), les rendez-vous du « Téléphone sonne » et de « Là-bas si j’y suis » (France Inter), du « Bien commun » et d« Esprit public » (France Culture), sans oublier, sur Europe 1, les débats à chaud de Guillaume Durand et Elisabeth Martichoux ou encore la nouvelle et décevante émission de Michel Field du dimanche soir consacré aux médias. Et d’autres encore. Partout fusaient les interrogations capitales.

On garde donc en tête ces innombrables discussions, objections, dépiautages. Et, pour tout dire, on sort de tout cela assez déçu. Pourquoi ? Parce que les médias ont décidément du mal à traiter de leur propre fonctionnement sans succomber à un effet d’aplatissement. Ils sont mal placés, en somme, pour approfondir des questions qu’ils ne peuvent guère qu’énoncer. Affaire de rythme, de tempo, d’espace pour la réflexion, le discours. En se médiatisant elle-même, la critique des médias s’édulcore. Les sujets sont davantage énumérés, signalés, évacués que véritablement traités. Dans le cas présent, lesdits sujets d’interrogation ne manquaient pourtant pas. Que penser de la rétention d’images et de l’autocensure spontanée (pas de photos de cadavres) pratiquée à Manhattan et jamais ailleurs ? Un cadavre africain ou indien serait-il moins choquant ? Comment éviter l’effet simplificateur et donc mensonger qu’entraîne toute désignation dun seul coupable (Ben Laden) même, et y compris, s’il l’est vraiment ? Comment justifier l’inimaginable inflation de la rhétorique journalistique, souvent irresponsable (troisième guerre mondiale, incarnation du Mal, etc.), qui favorisait cela même quelle prétendait combattre, à savoir l’amalgame entre islam et terrorisme. Que recouvre au juste ce fameux patriotisme des journalistes américains, si souvent signalé ? Que nos confrères placent, cette fois, la défense de l’Amérique au premier rang des priorités, y compris avant la simple quête de la vérité ?

C’est toute la question redoutable du journalisme en temps de guerre qui était posée. Or, à l’évidence, ni cette question ni les autres ne purent visiblement être traitées par les médias eux-mêmes, c’est-à-dire du dedans. Conclusion, il faut absolument à l’appareil médiatique un ailleurs, une instance d’appel, un regard extérieur et critique. A ce stade, on est déjà, savez-vous, dans la théorie des pouvoirs. »

Jean-Claude Guillebaud, Le Nouvel Observateur du 5 octobre 2001. Passages soulignés par Acrimed

Première publication 12-10-2001.

 
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Notes

[1que nous sommes prêts à retirer sur simple demande

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