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Tribune

L’amnésie comme nouvelle stratégie de propagande

Un journaliste dans un hebdo d’Annecy nous écrit : « Bonjour, je viens de prendre connaissance de votre site par un article dans Politis (du 6 mai 1999), même si je connaissais déjà certains de vos collaborateurs. » Et nous fait parvenir une tribune libre sur la couverture médiatique de la guerre au Kosovo [*].

Depuis le début avril, l’information française a de nouveau endossé sa tenue kaki. Mais, à la différence de la guerre du Golfe, en 1991, l’enrôlement sous la bannière guerrière se fait cette fois plus subtilement.

Plus de généraux en retraite sur les plateaux télé, ni de correspondants - et surtout correspondantes (c’est plus sexy, coco, donc bon pour les parts de marché - montrant leur joli minois à l’antenne sur fond de chute de Scuds dans le ciel noir de Bagdad.

En parallèle, l’invective semble moins forte. Si les polémiques se sont bien développées parmi le microcosme intellectuel parisien, on sentait une certaine retenue. Contrairement à il y a huit ans, les réfractaires n’étaient plus considérés comme des traîtres à la patrie ou des déserteurs.

Plutôt des irresponsables, ce qui présente, quand même un progrès.

Mais, comme on ne se refait pas, les éléments majeurs de la propagande pro-guerre sont toujours là, avec, au premier chef, la diabolisation extrême de l’ennemi. Avec la désormais classique ritournelle de faire passer celui-ci pour le descendant direct de Hitler. Et ses méthodes directement dérivées de celles des Nazis - forme atténuée de révisionnisme et de négation de l’holocauste qui, soit en dit en passant, ne semble émouvoir personne.

Mais, là encore, avec un certain retrait : plus question de proclamer que la Serbie est une menace pour la planète. On se contente, plus "raisonnablement" de pointer l’inacceptable politique de purification ethnique, mis en place avec des moyens somme toute artisanaux.

Car, il ne s’agit plus ici de faire peur, de justifier une guerre par une question de survie pour la France et ses habitants, mais plutôt d’émouvoir afin de déclencher une sympathie envers les victimes.

C’est peut-être bien pourquoi, plus encore que la Guerre du Golfe, avons nous là la première guerre post-moderne. Une guerre militairement juste puisque moralement inattaquable.

En conséquence de quoi, les images fortes du conflit au Kosovo ne sont plus la panoplie militaire technologique, mais bien les sinistres convois de réfugiés, femmes et enfants désarmés et en pleurs. Images archaïques renvoyant aux souvenirs de l’exode du printemps 40.

En même temps, télévision, presse écrite, radio ne cachent pas la réalité des "bavures" ou inconséquences de l’intervention de l’OTAN.

Mais, c’est que la bonne vieille Anastasie et ses ciseaux blanchissant les pages des journaux des nouvelles censurées a été remplacée par son exact contraire : un producteur d’images en continu, soumettant le spectateur à un bombardement ininterrompu d’images, de commentaires, d’informations.

Dans l’instant. Et, selon le bon vieux principe de la dernière information qui efface la précédente en attendant d’être plongée dans l’oubli par la suivante.

Tout cela procède de la logique de faire du citoyen un simple spectateur des malheurs inéluctables - toujours inéluctables - du monde …

Ainsi, on serait bien en mal de se souvenir, aujourd’hui, des raisons précises qui justifiaient officiellement, le déclenchement des bombardements.

Par la suite, par une distorsion temporelle assez hallucinante, les images des réfugiés chassés de chez eux est venu justifier le bien-fondé des frappes aériennes... qui n’avaient pas été pour rien dans l’accentuation du phénomène d’exode.

Et désormais, après avoir claironné, comme le ministre français Hubert Védrine, qu’il s’agissait d’une question d’heures ou de quelques semaines, on souligne que l’on est entré dans un conflit long...

Et bientôt, sans doute, l’intervention terrestre - considérée comme inadmissible au départ va être justifiée par l’échec des bombardements. Et, au final, personne, dans la sphère médiatique ne s’indignera d’avoir à négocier avec Milosevic-Hitler. Il est vrai que Saddam-Hitler se porte toujours aussi bien, tandis que son peuple continue à souffrir des conséquences du conflit de 1991. Mais qui s’en soucie encore.

Bon, et bien ça fait du bien de lâcher ce qu’on a sur le coeur. Merci de me tenir au courant de vos initiatives. Je suis journaliste dans un hebdo d’Annecy.

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

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