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Kosovo : comment la presse escamote ses errements

par Henri Maler,

Un an après l’intervention guerrière de l’OTAN, livres et articles se multiplient pour tirer le bilan de la " couverture médiatique " du conflit. Regards reviendra le mois prochain sur ce bilan que les notables de la presse se refusent encore à tirer sérieusement, en mutipliant les barrages qu’ils croient dissuasifs. Rapide survol de ces barrages...

Privées de l’intervention terrestre que la plupart d’entre elles appelaient de leurs vœux, les " chefferies éditoriales " qui se sont mobilisées dans le soutien à l’intervention de l’OTAN ont contribué à leur façon à l’effort de guerre : elles ont combattu, plume au poing, l’ennemi intérieur - les critiques des médias - et salué, en pleine guerre, leur propre victoire : la victoire d’un journalisme qui se flattait déjà, dès avril 1999, d’avoir été exemplaire.

Rien n’a changé depuis. L’autosatisfaction repose sur deux comparaisons, réduites à de simples figures de rhétorique : entre le traitement médiatique de la Guerre du Golfe et celui de la guerre des Balkans ; entre l’information en régime démocratique et l’information en régime autoritaire. Deux costumes de prêt-à-porter comparatif. Deux tentatives de légitimation par le pire : comme le pire est derrière nous, nous sommes en progrès ; comme le pire est ailleurs, nous sommes les meilleurs. Deux " évidences ", très inégalement fondées, mais surtout deux formes de défi : osez dire que d’une guerre à l’autre, nous n’avons pas progressé ou que la presse française équivaut à la presse serbe, ou taisez-vous. La suite en découle aussitôt : toute critique qui n’aura pas reçu l’aval des seigneurs de la profession sera vouée au silence, au pilori ou à la vindicte à grand tirage. C’était vrai en 1999 ; cela reste vrai en l’an 2000.

Pourtant, dans un accès de modestie, Laurent Joffrin, après avoir claironné que la presse était " exemplaire ", déclarait une semaine plus tard : " Je n’en tire pas gloire : c’est un simple retour aux critères normaux de la profession ". Puisque ce qui est normal est exemplaire (et réciproquement...), on est en droit de se demander ce que valent ces critères normaux et/ou s’ils ont été respectés. Mais, pour pouvoir exercer ce droit, il faut encore franchir plusieurs contrôles préalables.

Les mêmes journalistes multicartes qui éditorialisent en multimédia entendent bien se réserver la critique du journalisme. Les essayistes et écrivains, historiens et sociologues, philosophes ou ratons laveurs qui n’ont pas reçu l’aval de la tribu ou ne disposent pas d’une tribune permanente dans la presse sont d’emblée disqualifiés. Qu’ils soient ou non détenteurs d’une carte de presse, tous ceux qui postulent au droit de libre examen doivent s’être coltinés les contraintes du métier et montrer leurs mains tâchées de cambouis. Rengaine des mains sales, habituelle et dérisoire, qui convaincra d’autant moins que c’est au travail de certains journalistes " de terrain " que l’on doit de pouvoir poser quelques problèmes dérangeants.

L’autocélébration par le pire doit alors être protégée d’urgence par un second cordon sanitaire. Une nouvelle règle de déontologie : quiconque essaie de rétablir les faits est soupçonnable de " révisionnisme sournois " ou de " négationisme rampant ". Un acte d’accusation imbécile et indécent. Dans le box des accusés : Elisabeth Lévy (et Marianne), Serge Halimi et Dominique Vidal (et Le Monde diplomatique), Régis Debray et Noam Chomsky. La liste s’allonge de jour en jour. Difficile pourtant de rendre inaudible ce que disent leurs inventaires des dérives de l’information : ils sont accablants. On y reviendra.

Henri Maler

 Version initiale d’un article paru dans "Regards" n° 58, juin 2000, sous le titre " Les médias et le Kosovo"

 
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