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Journaux, " votre richesse c’est notre diversité "

" Patrons de presse, rédacteurs en chef, directeurs artistiques, iconographes : votre richesse c’est notre diversité. "

Nous sommes journalistes, nous sommes reporters, nous sommes photographes, nous sommes auteurs, nous posons un regard sur un univers sans cesse en mutation : le monde dans lequel nous vivons.

Payés à la tâche, à la pige, précaires, souvent exclus d’une convention collective qui est pourtant la nôtre parfois sans aucune protection sociale nous avons choisi d’arpenter le monde par jeu, par plaisir, par passion. Nos images témoignent, racontent, elles sont une part de nous-même, quelquefois le meilleur, de la sueur, de la douleur, de l’espérance. Nous risquons nos vies, notre temps, notre raison, notre avenir à être au coeur du monde, au milieu des hommes et des femmes que nous photographions dans le meilleur et dans le pire de leurs vies, de nos vies.

Depuis des années, nous constatons l’affadissement, l’appauvrissement photographique de la plupart des titres de presse de ce pays, l’attentisme de ses responsables plus enclins au recours à des multinationales de l’image qu’au courage éditorial. Perdus au milieu d’un flot sans cesse grandissant d’images, sommés de faire des choix fondés sur de seuls critères pseudo-esthétiques et plus souvent économiques, ces responsables sont de moins en moins enclins au recours à des reporters-photographes, aux témoins concernés de leur temps que nous sommes.

L’information en uniforme ?

La facilité, la médiocrité, le panurgisme sont devenus la norme : il est aujourd’hui temps de retrouver l’esprit d’excellence qui a fait un temps de notre presse l’une des meilleures du monde. Aujourd’hui on ne cherche plus à publier un reportage, à envoyer un photographe raconter un bout de notre monde, une histoire : on résume, on illustre avec une photo "piochée" sur Internet, fournie par des protagonistes de l’événement, des interviewés, des services de presse ou de communication, des photos sans signatures, voire signées du mystérieux DR.

Des photos qui ont quelquefois été prises à la va vite par des rédacteurs sommés de ramener des images par souci d’économie, quelquefois même des images saisies à la télévision sans souci de leurs conditions de réalisation et de leur sens.
Une pure logique marchande déshumanisée a peu à peu pris le pas sur une éthique journalistique. Parce qu’il n’est plus commandité par personne, le reporter photographe doit aujourd’hui faire d’un événement une image simple, une image passe-partout qui a des chances de se vendre n’importe où, une image belle et vide plutôt qu’un témoignage.

Le bonheur des uns...

Des dizaines d’agence de photographies fourre-tout existent. Familiales, artisanales elles exercent pour la plupart dans le non-droit le plus total. Elles diffusent tout et n’importe quoi, dans une absence totale de déontologie, de convention collective, de représentations syndicales et pour cause : leurs photographes, producteurs de la matière première sont les seuls a ne pas en être salariés et encore moins mensualisés, ils ne sont que de vagues collaborateurs dont le turn-over est incessant. Ces collaborateurs sont pourtant seuls producteurs d’une matière première qui génère l’ensemble des revenus de cette filière économique. D’autres agences plus industrielles, de renommée mondiale, peuvent oublier purement et simplement de payer les photographes dont elles diffusent les images dans certains pays. Elles jouent sur leur dépendance et leur endettement, leur envie d’être reconnus. Toutes pratiquent, à un niveau ou un autre, le paternalisme pour faire de ces photographes de véritables man|uvres dépendants et interchangeables, corvéables à merci dont il faut réussir à entretenir un temps l’espérance. Ces agences ne sont poussées que par le souci d’être présentes partout là où cela peut rapporter, de faire face, de répondre à la demande des clients, toujours plus grande, plus urgente, impérative. Au bout de cette chaîne, demandez à un photographe ce qu’il déclare aux impôts : il aura honte de vous répondre. Car mal gagner sa vie quand on est reporter-photographe pourrait signifier que l’on est mauvais. En réalité, c’est l’univers de la photographie qui a changé au point que, désormais, ce sont les photographes qui vivent le moins bien de leur activité : le photojournalisme. Plus que jamais le salariat est menacé. Les rares barèmes de rémunération, qui n’avaient pourtant qu’un titre indicatif, sont régulièrement revus à la baisse par les journaux.

... fait le malheur des autres ?

La volonté de satisfaire les actionnaires, dont font preuve les entreprises de presse, est en train de nous transformer en véritables soutiers de l’information. Des dizaines d’articles sont chaque jour écrits sans que les journalistes-rédacteurs se soient nécessairement déplacés sur le terrain, informés par la télévision, la radio, le téléphone, les dépêches d’agences, internet, et des dizaines d’autres sources d’information. C’est par une présence physique sur tous les fronts et tous les terrains que nous, reporters photographes, témoignons du monde, souvent même par des immersions de longue durée. Un courage que l’appât du gain et la recherche de notoriété ne peuvent seuls expliquer. La tendance à tout traiter par le biais "people" a fait son oeuvre. La presse publie de plus en plus de portraits et de moins en moins de reportages et encore le fait-elle avec un mimétisme consternant. L’image est désormais faite pour faire jolie, embellir, agrémenter, coloriser, illustrer, accompagner des pages. Ce n’est pas ainsi que nous voyons la place de la photographie dans la presse. Grâce à Internet, des milliers d’images sont chaque jour disponibles sur les écrans d’ordinateur, plus besoin d’être iconographe, d’être directeur de la photo, journalistes pour choisir, transférer, imprimer. Ces images sont conçues pour être interchangeables et facilement utilisables. Des images du monde, mais pas des regards sur le monde. Quand la presse aura totalement perdu tout sens critique, au point de ne plus travailler qu’en cercle fermé ou avec des agences avec lesquelles des forfaits avantageux auront été négociés, quand les commandes de photographies et de reportages auront totalement disparu, ce sera plus que la pluralité qui disparaîtra, c’est un outil d’information et de compréhension, l’un des instruments de mémoire de notre siècle. Entre les images fugaces et sans véritable sens d’une télévision devenue déversoir d’images, de chocs visuels, d’émotions de tous ordres et la banalité, la monotonie, l’asepsie des images d’actualité, le monde commence à paraître bien normalisée.

Globalisation ou appauvrissement ?

La concentration des agences de photographies d’actualité et d’illustration dans les mains de quelques magnats et groupes financiers est bien avancée. Avec la mondialisation de la diffusion de ces images, elle nous fait courir le risque de vivre dans un monde dont l’imaginaire collectif, l’iconographie affective et informative n’aura été façonnée que par quelques puissants groupes mondiaux et quelques publicitaires "culottés". Que sera l’homme du XXIéme siècle bercé par des images d’un caricaturisme effarant. Normalisées, standardisées et avalisées par une logique de rentabilité, les images de la télévision, des journaux ou des affiches ne nous laisseront que de rares galeries, quelques journaux militants pour faire entendre notre "petite musique". La richesse de l’homme demeure à notre siècle encore dans sa diversité, celle de la presse dans sa pluralité mais aussi dans la nôtre.

C’est la lutte finale...

L’information est devenue pour certains un produit d’appel générant de la notoriété, des parts de marché, du pouvoir. Pour nous, elle est l’engagement d’une vie, une présence au monde dans lequel nous choisissons d’être acteurs.

Acheter un journal est un acte politique, il marque l’appartenance a une sphère culturelle, une attention, déjà presque une volonté. Nous pensons que choisir une image, la publier est aussi un acte journalistique, philosophique, économique. Il est temps que la question de l’image soit aussi posée en termes de choix de société, de citoyenneté, que les acteurs de la presse choisissent aussi à travers les images qu’ils publient quel monde économique ils construisent, quelles entreprises ils cautionnent et quel imaginaire collectif ils façonnent.

Nous reporters, journalistes, reporters-photographes, auteurs connus ou inconnus solidaires choisissons la diversité, la multiplicité des regards sur le monde. Nos témoignages sont aussi des remparts contre le totalitarisme et la barbarie. Les photographies sont des oeuvres de l’esprit, ne les laissons pas devenir une simple marchandise.

 
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