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" Une horreur qui dépasse l’entendement "

Jenine (3) Questions embarrassantes et questions embarrassées

L’invasion massive des zones autonomes palestiniennes par l’armée israélienne, la violence extrême des actes de guerre perpétrés notamment dans les villes de Naplouse et de Bethléem et dans le camp de réfugiés de Jénine, en violation de toutes les résolutions de l’ONU et de la convention de Genève, ont eu des conséquences dramatiques.

" Massacres ", " tueries " ? Peut-être faut-il encore protéger le sens des mots, mais à condition de ne pas nier l’évidence des faits...

Par quelle étrange pudeur ou quel luxe de précautions, faut-il que des éditorialistes et des chroniqueurs non seulement éludent les réponses quand elles sont connues, mais substituent aux questions embarassantes des questions embarrassées ?

Questions embarrassées

Dominiques Dombres, au terme d’une chronique lénifiante finit par évoquer ce qui justifie son titre : " Télévision : Images manquantes " (Le Monde daté du 16 avril 2002) :

" On pouvait voir, sur LCI, les juges de la Cour suprême d’Israël autorisant l’armée à enterrer les corps des Palestiniens morts à Jénine. Mais ces corps eux-mêmes, on ne les verra pas. Les images les plus importantes sont peut-être ces images manquantes. Quelques journalistes ont été autorisés à se rendre brièvement dans une partie du camp de Jénine. Mais aucun membre d’une organisation humanitaire n’a pu rencontrer les réfugiés du camp, où les destructions seraient considérables. Un porte-parole de l’armée israélienne avait d’abord parlé de centaines de morts, puis cette information a été démentie. La décision de la Cour suprême israélienne peut se comprendre pour des raisons sanitaires, mais un doute plane sur le nombre des victimes et les circonstances de leur mort.

Les images jouent un rôle considérable dans ce conflit. Celles du camp de Jénine, où vivent 15 000 personnes, sont-elles si terribles ? "

On ne félicitera jamais assez Dominique Dombres, compréhensif et dubitatif, de l’audace de sa question. Comme si l’on ne connaissait pas déjà la réponse…

Jacques Amalric, au comble de la rigueur, est ballotté entre les évidences et les questions.

 Les évidences , Amalric nous les avaient doctement enseignées dans son éditorial de Libération daté du jeudi 11 avril 2002 : " Quatre évidences " :

" Que dire, sinon rappeler quelques évidences dont beaucoup se prétendent convaincus mais dont peu tiennent compte :

1) le face-à-face israélo-palestinien doit cesser, l’heure de l’internationalisation a sonné sur la base d’un Etat palestinien viable, qui ne représente pas une menace pour la sécurité d’Israël ;

2) cette solution ne peut pas dépendre d’un éventuel cessez-le-feu, toujours à la merci d’un candidat au suicide, mais doit être posée comme un principe par une communauté internationale prête à la garantir militairement et économiquement ; la paix des braves viendra après ;

3) Yasser Arafat doit choisir définitivement entre le courage de la paix - c’est-à-dire le compromis, qu’il s’agisse de Jérusalem ou du droit au retour - et la politique des deux fers au feu, c’est-à-dire la montée aux abîmes via le terrorisme ;

4) Israël doit aussi choisir, entre la vaine reconquête et le compromis, c’est-à-dire le statut de Jérusalem et la fin de la politique des implantations. "

" Que dire ", sinon souligner deux évidences dont Amalric se prétend convaincu, mais dont il ne faut pas tenir compte ?

o Que son invitation au compromis concerne d’abord Arafat et secondairement Israël ;

o Que cette invitation ne dit pas un mot du droit du sol des réfugiés (sous couvert de contester les " droit au retour ", que les Israéliens s’arrogent hors de toute limites territoriales)

Evidences embarrassantes pour qui ne posent que des questions embarrassées.

 Celles-là mêmes que Jacques Amalric posent - mais à qui ? - dans son éditorial de Libération du lundi 15 avril 2002, sous le titre " Questions sur un silence " :

" Que s’est-il réellement passé dans le camp de réfugiés de Jénine ?

Officiellement, nous répond l’armée israélienne, de très rudes combats. Et on veut bien la croire sur ce point, puisqu’elle a perdu vingt-trois des siens dans la conquête de la place " .

La preuve des rudes combats, ce sont les morts israéliens…

Et notre éditorialiste de s’interroger - " si telle est la vérité " - sur les raisons qui poussent les autorités israéliennes à interdire tout accès au camp, avant de conseiller :

Conseils intéressants

" Les autorités israéliennes, toujours soucieuses de contrer les accusations palestiniennes, auraient tout à gagner à ce que la lumière soit faite sur les événements de Jénine. "

Ainsi assuré - mais comment ? - que les autorités israéliennes ont tout à gagner de la vérité, notre supplicateur adresse, quelques lignes plus loin quelques questions à la cantonade :

" Comment récuser en tant que pure propagande et sans plus ample examen certains témoignages faisant état d’exécutions sommaires, de nombreuses morts de civils, de refus d’assistance à des blessés qui n’ont jamais atteint les hôpitaux de la région ? Pourquoi, grâce à la transparence, ne pas tuer dans l’oeuf cette hypothèse d’un massacre, déjà considérée comme une vérité par de nombreuses sources palestiniennes peu désireuses au demeurant de commenter le meurtrier attentat-suicide de vendredi, à Jérusalem ?

Se croyant obligé de réclamer la transparence à une armée - et quelle armée ! - pour " tuer dans l’oeuf une hypothèse " (pourquoi pas une rumeur ? ), Amalric laisse entendre que le sources palestiniennes sont peu fiables ... puisqu’elles refusent de commenter un attentat… Avant d’achever ainsi sa bouillie :

" Pourquoi, sinon pour au moins l’une de ces deux raisons : les bavures auraient dépassé, à Jénine, l’avouable ; Ariel Sharon, sûr de son bon droit, estimerait qu’il n’a de compte à rendre à personne, pas même à un George Bush. Qui lui demande en vain, jusqu’à présent, le retrait de Cisjordanie et l’ouverture du camp de Jénine aux humanitaires. "

Tout ça pour en arriver là… De deux choses l’une : ou il y a eu des " bavures ", ou Sharon est arrogant. Pauvre éditorialiste qui ne parvient même pas à compter jusqu’à deux sur ses doigts : même si on additionne les deux termes de l’alternative, le compte n’y est pas.

L’éditorialiste anonyme du Monde , le 16 avril, invoque non sans fermeté " Le droit de savoir " (c’est le titre). On peut lire, notamment ceci :

" (...) Pendant deux semaines, non seulement les médias, mais les organisations humanitaires, de l’ONU, qui gère, par l’intermédiaire de l’UNWRA, les camps palestiniens, au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou aux ONG, se sont vu interdire - au mépris du droit humanitaire - tout accès aux zones occupées par Tsahal. Des blessés sont morts sans soins, des cadavres se sont décomposés dans les décombres, tandis que femmes et enfants manquaient de tout. "

Avant de poursuivre un peu plus loin :

" Il n’y a qu’un seul moyen de savoir, et, pour Israël, de prouver sa bonne foi : permettre aux témoins impartiaux de se rendre compte sur place, de compter les morts pour mettre fin à toute polémique, de décrire l’ampleur des destructions et, surtout, de venir en aide à des populations civiles en état de choc et démunies de tout. Sinon, qui croire ? "

On ne saurait mieux dire, n’était ce curieux appel à Israël à " prouver sa bonne foi ", réitéré quelques lignes plus bas, sous forme d’un conseil dont on ne sait s’il est destiné à aider Israël à gagner la guerre ou à condamner ce type de guerre :

" Le gouvernement israélien ne pourra jamais prouver sa bonne foi en remplaçant l’information contradictoire par des communiqués. Il peut certes compter aujourd’hui sur un large soutien de la population. Mais une guerre de ce type ne se gagne pas contre le reste du monde. "

Vient alors la conclusion de la leçon :

" Mais une guerre de ce type ne se gagne pas contre le reste du monde. D’autant que l’expérience des conflits précédents rappelle que, en dépit de tous les efforts pour la cacher, la vérité finit toujours pas réapparaître. "

Le Monde fait sans doute allusion aux contre-vérités dont il s’est fait le propagateur pendant la guerre du Kosovo

 
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