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Décryptage d’une émission de décembre 1999

Jean Lebrun invite Laure Adler (2)

Acte 1 : comment disqualifier les auditeurs mécontents

" Pot-au-feu ", France Culture, mardi 14 décembre 1999, 18 h 20 - Emission enregistrée en public au Bouillon Racine et diffusée en direct - Alors que des réponses sont attendues et qu’un débat public sur l’orientation de la station est manifestement indispensable, Jean Lebrun, producteur à France Culture invite à " son " émission la directrice de la station. D’emblée, le Prologue de Jean Lebrun a fixé le cap : C’est sur l’écoute de France Culture (comment l’écoutez-vous ? Pourquoi l’écoutez-vous, ) qu’est centrée la suite de l’émission. Place à l’Acte I :

Acte I : comment disqualifier les auditeurs mécontents

Emmanuel Giraud : Oui. Bonsoir Jean. J’ai été effectivement à Télérama ; j’ai rencontré Stéphane Jarno, le spécialiste des pages radios à Télérama, et j’ai épluché les 200 lettres reçues par Télérama depuis la rentrée concernant le changement de la grille. Et sur ces 200 lettres, il y a cinq lettres qui sont des lettres, un petit peu, de contentement de cette grille, d’auditeurs absolument ravis…

Jean Lebrun : Vous avez d’ailleurs choisi l’un de ces auditeurs qui ont scripté une lettre favorable, Evelyne Vicky [?], c’est la seule qui n’est pas venue ce soir. Mais enfin on l’attend… les embouteillages doivent simplement l’embarrasser un peu. [ Elle viendra. Voir plus loin].

 La suite vise à disqualifier les auditeurs mécontents :

Emmanuel Giraud : Et puis parmi les 195 autres lettres d’auditeurs, des auditeurs mécontents, alors sous différentes formes, on a un petit peu tous les types de lettres : des gens très très organisés, très… qui ont écrit de longues lettres, très argumentées, et qui sont à la fois très organisés puisqu’ils envoient la lettre à la direction de France Culture, à M. Cavada également, à Télérama, au Monde et à tous les médias. Donc ce sont des gens qui sont très organisés. D’autre part il y avait des lettres de gens qui étaient un petit peu moins organisés, qui réagissaient simplement aux différents articles qui avaient pu paraître dans la presse et dans Télérama. Quand une lettre d’auditeur mécontent apparaissait, les gens répondaient pour dire : " moi aussi, je suis d’accord ; moi aussi, je ne suis pas content ".

 Première tentative de disqualification : les mécontents sont des gens " très organisés " (cette expression revient plusieurs fois…). Seule " preuve " mise en avant : ils envoient leur courrier simultanément à plusieurs journaux, dans l’espoir de le faire paraître !. Cette insistance vise à imposer l’idée qu’il existe un groupe de pression, une minorité agissante qui se livre à une cabale, ainsi que Laure Adler n’a cessé de l’affirmer dans ses déclarations à la presse. Pour la direction de France Culture, les redoutables conspirateurs sont sans doute l’Association des auditeurs de France Culture et l’Acrimed.

 Deuxième tentative de disqualification : les mécontents réagissent non à la nouvelle grille, mais aux autres lettres de mécontents.

Jean Lebrun : Donc effet de réaction. Je cite à ce propos…

 Jean Lebrun enfonce le clou pour ceux qui n’auraient pas compris : les protestations et leur nombre sont un " effet de réaction " :

Emmanuel Giraud : Et puis peut-être plus de lettres adressées à Télérama en particulier pour…

Jean Lebrun : Oui, alors je cite à ce propos un auditeur de Grasse, André Darchangella [?], " j’apprends que des auditeurs mécontent écrivent au journal Le Monde. De qui se moque-t-on ? L’encart de radio-télé de ce journal peut-être ce qu’il veut. Si j’ai a redire pour une émission de radio, j’écris à cette radio. " C’est d’ailleurs pour ça que sans le truchement de la presse, ses filtres, ben on a décider d’engager le débat sans rien cacher du caractère passionnel qui vous attache vous autres auditeurs à France Culture, et qui parfois vous en détache.

 Troisième tentative de disqualification : les mécontents ont utilisé le " filtre " de la presse. La première lettre citée vient à point nommé cautionner les choix de Jean Lebrun. On notera aussi que le désaveu du " truchement de la presse " ne vaut que pour les auditeurs : on lira par ailleurs l’ampleur de la véritable campagne de presse menée par Laure Adler. Quant à l’évocation de la " passion ", on se souviendra que, dans certains journaux comme Le Monde, elle permet de lui opposer la " sagesse " de la direction…

Inserts : lecture de trois lettres par des voix sensées restituer par leur ton les propriétés de leurs auteurs. Ces courts textes manifestent un attachement très intense des auditeurs vis-à-vis de France Culture (" France Culture que j’aimais, je te hais, désormais. Il me faut trouver un autre amour ") . Toutes trois sont critiques. [Applaudissements et bravos]

Lebrun : Non mais… Plus vous applaudissez, plus vous perdez de temps de parole. Alors ça ce sont de vrais auditeurs comme ceux qui sont là ce soir. Est-ce que je peux vous faire remarquer Laure Adler que parfois vous répondez à des auditeurs qui n’existent pas ? Il y a des auditeurs qui ont le sens de l’humour et qui inventent des personnages qui seraient mécontents, déçus. Par exemple, on a trouvé dans le courrier de la direction, là c’est plus le courrier de Télérama, une lettre écrite très maladroitement, comme avec une écriture de vieille dame, à laquelle vous avez mis une annotation : " précisez à cette dame ceci, ceci ou encore cela… ". Mais je crois que c’était pas une vraie auditrice…

 Quatrième tentative de disqualification des mécontents : ils sont non seulement organisés et réactifs, hypocrites mêmes puisqu’ils s’adressent à la presse, mais certains d’entre eux sont fictifs. Leur écriture est intentionnellement maladroite (dans la salle, plusieurs " vieilles dames " s’indignent de la maladresse que leur attribue Lebrun, mais cela n’est pas perceptible à l’antenne).

Insert lecture de la lettre par une voix chevrotante.

Lebrun : Voilà. On ne redonne pas son adresse parce que le courrier doit revenir, la personne n’habitant pas à l’adresse indiquée, ce qui n’est pas le cas des cinq ou six auditeurs du premier cercle que nous avons composé ce soir, qui ne vont pas monopoliser la parole et qui laisseront le micro à tous ceux qui sont avec nous au Bouillon Racine. Bon je ne vais peut-être pas vous présenter d’affilée les uns après les autres. On va commencer par celui qui a le plus le trac, c’est Christian Florentin. Bonsoir.

Fin de l’acte I : après la disqualification des contestataires, le " débat " va commencer…à côté de ce qui fait débat. Acte II

 
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