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Un débat d’Acrimed de mai 2002

Huit questions sur la couverture des agressions antisémites

par Dominique Vidal

Le Jeudi 23 mai, Acrimed recevait, pour un débat sur les médias et l’antisémitisme, Dominique Vidal, du Monde Diplomatique.
Ces notes ont été rédigées à partir de son intervention

La France a connu une recrudescence des actes visant des personnes et des lieux juifs depuis une vingtaine mois. Certains d’entre eux sont très graves : incendies de synagogues et d’écoles juives, attaques contre des bus scolaires juifs, agressions contre des juifs, profanation de cimetières juifs. Il va de soi qu’il s’agit là phénomène inquiétant, que les médias doivent traiter. Mais comment ? Une fois encore, on a assisté à des dysfonctionnements nombreux et sérieux.

 Une première série de violences visant des lieux juifs se produit à la rentrée 2000. Or à l’époque, la plupart des médias observent un prudent silence.

 Le traitement massif ne débute en fait qu’un an plus tard, après la publication de la liste de plusieurs centaines d’actions anti-juives par la revue créée Shmuel Trigano Observatoire du monde juif. Cette liste est reprise et complétée par le CRIF [1] qui la remet au Premier ministre Lionel Jospin lors du repas annuel du Comité. Alors commence une véritable campagne. Une nouvelle liste paraît dans Les Antifeujs, livre blanc des violences antisémites en France depuis septembre 2000 [2], publié mars par l’UEJF [3] et SOS Racisme, qui alimente la couverture du phénomène.

 On assiste alors à un crescendo de reportages télévisés, de doubles pages dans les journaux (notamment Libération, Le Figaro, Le Monde) et de dossiers dans les magazines (Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point, Marianne)

 Mais la couverture a posteriori des événements se fait de manière a-critique presque sur la seule base des informations et des commentaires fournis par des sources de presse et d’institutions juives. Or ces dernières posent certains problèmes de méthode et de contenu. Je m’en tiendrai à 8 questions :

1) Défauts de vérification. L’incendie très médiatisé de la synagogue de Trappes s’avère être un accident. Ce cas, semble-t-il n’est pas unique. Dans d’autres cas, les auteurs, arrêtés, sont des criminels sans le moindre engagement raciste. Etc.

2) Amalgame des actes : ainsi en va-t-il des actes recensés dans les listes de Shmuel Trigano, du CRIF, et d’Antifeujs. A côté des attaques graves mentionnées plus haut, figurent des actes certes délictueux, mais nettement moins graves : graffitis antisémites, courriers ou e-mails anonymes, insultes... Additionner les uns et les autres pour parler de centaines d’agressions antisémites donne, à tort, l’image d’une France renouant avec ses démons antisémites du passé.

3) Référence omniprésente à la "Nuit de Cristal", voire - dixit Finkielkraut - à l’ " Année de Cristal ". Ceux qui ont osé cette comparaison sont soit irresponsables, soit analphabètes : dans l’Allemagne nazie, le gigantesque pogrom du 9 novembre 1938 avait détruit 191 synagogues et 7 500 magasins, tué 91juifs et conduit 30 000 autres en camp de concentration... Heureusement, nous n’en sommes pas là en France, et de loin ! Toutes les enquêtes d’opinion indiquent qu’une majorité croissante de Français rejettent fermement toute forme d’antisémitisme. Certes, les sondages sont à prendre avec pincettes, pour toutes raisons bien connues des membres d’Acrimed, mais ils fournissent néanmoins des indications - surtout s’ils posent la même question sur une longue période.

Ainsi en 1946, 1 Français sur 3 considérait un Français d’origine juive comme " aussi français qu’un autre Français ". En 2000, ils sont 2 sur 3.

De même, en 1966, la moitié des Français déclaraient ne pas vouloir d’un président de la République juif. Aujourd’hui, seul 1 sur 10 l’affirme

Le Livre blanc de UEJF - déjà cité - comporte, outre des commentaires très discutables, un sondage détaillé portant sur 15-24 ans : ils refusent l’antisémitisme plus vigoureusement encore que leurs aînés (à hauteur de 85 %-90 %).

4) A défaut d’une France antisémite, des Arabes antisémites. Les quotidiens, y compris Le Monde, ont présenté les "Beurs" et la banlieue comme gangrénés par l’antisémitisme.

Là encore, les sondages contredisent cette vision simpliste. Dans le Livre blanc UEJF-SOS Racisme, Philippe Méchet commente ainsi, pour la Sofrès, les réponses spécifiques des jeunes Arabes : " Ces résultats traduisent avant tout l’absence d’antisémitisme massif chez les jeunes d’origine maghrébine. (...) Il est donc essentiel de ne pas stigmatiser une communauté dans sa globalité : ce serait d’une part commettre une erreur stratégique grave, et d’autre part négliger la réalité d’une communauté qui, dans sa grande majorité, rejette l’antisémitisme. "

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Philippe Méchet n’a pas été très écouté par médias, de même que ceux-ci n’ont pas entendu les appels, pourtant nombreux et remarquablement clairs, de responsables et d’intellectuels arabes ou musulmans contre les actes anti-juifs. Et en particulier tous ceux qui voient derrière les attentats anti-juifs la main des islamistes ont systématiquement passé sous silence les prises de positions des dirigeants islamistes appelant à lutter contre l’antisémitisme, y compris lorsque ce dernier est propagé par certains imams. Je pense notamment au texte remarquable de Tariq Ramadan dans les pages Horizons du Monde (24 décembre 2001).

5) Silence sur les agressions anti-arabes. La même logique a conduit plupart médias à passer sous silence la vague d’agressions anti-arabes depuis 11 septembre. Selon les informations diffusées - il est vrai au compte-gouttes - par les autorités françaises, les attaques contre des Arabes, des musulmans et parfois des lieux de culte ont été aussi nombreuses, sinon plus que les actes contre des personnes ou des lieux juifs. Selon le Rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNDDH), on a dénombré en 2001 67 faits graves racistes : 38 anti-arabes et 29 anti-juifs. Et selon un sondage paru dans Marianne le 6 avril, 23 % des Français éprouvent de l’antipathie pour les jeunes Maghrébins, 10 % pour les juifs. Un sondage de la Sofrès paru en mars établit une autre "hiérarchie" du racisme : celui-ci vise d’abord les Maghrébins (89 %), suivis des Gitans (46 %), des Noirs (37 %) et des Juifs (10 %). Combien de médias ont cité ces chiffres ?

6) Qui sont les auteurs des actes antijuifs ? Nombre de journalistes sont partis d’une analyse chronologique indiscutable : la moitié des faits recensés par le Livre blanc entre octobre 2000 et février 2002 se sont produits en octobre-novembre-décembre 2000, c’est-à-dire au moment du déclenchement de la deuxième Intifada. On a également recensé des dizaines de faits, dont certains très graves, en avril 2002, c’est-à-dire au moment de opérations " Rempart " de l’armée israélienne en Cisjordanie. Le contexte proche-oriental joue donc évidemment un rôle très important.

Pour autant, considérer les auteurs des agressions comme étant immanquablement de jeunes Arabes en colère, c’est procéder à une déduction que rien ne vient prouver. Au contraire : selon les rares informations disponibles, nombre de personnes arrêtées ne sont ni arabes ni musulmanes. Et celles qui le sont n’ont, semble-t-il, aucun lien avec leur communauté, une mosquée ou un groupe islamiste : ce sont, en général, des jeunes désocialisés. Ce constat renvoie à une réflexion plus générale de Théo Klein, qui voit souvent dans les attentats l’expression, non d’un antisémitisme ciblé, mais plutôt de la violence qui se développe dans certaines banlieues.

Par ailleurs, la plupart des médias ont ignoré la piste d’extrême droite, malgré l’arrestation de skin heads. Comme ils ont ignoré la piste de milieux criminels. Comme ils ont ignoré l’hypothèse de provocations. A ce propos, comment ne pas être étonné de la complaisance des autorités vis-à-vis du Bétar et de la Ligue de défense juive, à l’origine, depuis deux mois, d’une série d’agressions depuis qui justifieraient leur dissolution immédiate comme ligues armées. Incroyable, mais vrai : un de ces fascistes juifs ayant poignardé un commissaire de police à l’issue d’une manifestation du CRIF a été condamné à 4 mois dont 2 avec sursis ! Imaginons un seul instant que l’agresseur ait été Maghrébin...

7) Utilisation des agressions anti-juives pour, d’un même mouvement, mobiliser la solidarité de la communauté juive avec Israël et exercer une pression sur les médias en faveur d’une couverture des événements du Proche-Orient plus empathique à l’égard de l’Etat juif. Certes, la plupart des rédactions - dans le droit fil des déclarations officielles - ont dénoncé les déclarations grotesques d’Ariel Sharon et de plusieurs ministres présentant la France comme pays le plus antisémite du monde, sans parler du boycott lancé par Congrès juif américain !

Mais cette situation a servi de toile de fond à un harcèlement sans précédent des journalistes par les milieux ultra-sionistes français. Non sans résultats : culpabilisation, terrorisme intellectuel et dénonciation diffamatoire en ont amené plus d’un à "arrondir les angles" de leurs critiques de la politique israélienne. De même, l’offensive de Pierre-André Taguieff sur le thème de nouvelle judéophobie, prétendûment enracinée dans l’antisionisme islamiste ou d’extrême gauche, a porté quelques fruits

8) La riposte. Ceux qui ont dépeint les violences antisémites comme l’expression de la haine des Arabes contre les juifs pas seulement commis une erreur majeure : ils ont considérablement gêné la mobilisation nécessaire. Pour moi, il est évident que la seule réponse juste et efficace est le rassemblement de toutes les composantes religieuses, associatives et politiques de la société française contre toutes les formes de racisme, anti-juives comme anti-arabes. Tel n’a pas été le choix du CRIF : malgré les propositions d’une grande manifestation unitaire, Roger Cukierman a imposé au bureau du CRIF (de justesse) un défilé contre l’antisémitisme et pour le soutien à Israël, donc une riposte juive et non pas unitaire. Irresponsable, ce choix a été cautionné par médias qui ont couvert cette manifestation massivement et favorablement sans en souligner les enjeux. Le lendemain du premier tour des élections présidentielles, le président du CRIF, dans Haaretz, présentera le score de Le Pen comme " un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles " [4] ... Le même Roger Cukierman avait déclaré à Haaretz en septembre 2001 : " Lorsque Sharon est venu en France, je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la propagande, comme Goebbels. " [5]

 
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Notes

[1Conseil représentatif des institutions juives de France.

[2Lire la note de lecture de Dominique Vidal dans Le Monde diplomatique. (Note d’Acrimed).

[3Union des Etudiants Juifs de France.

[4Voir " M. Cukierman affirme que ses propos à "Haaretz" ont été déformés ", Le Monde daté 24 avril 2002. (Note d’Acrimed).

[5Voir note précédente. (Note d’Acrimed).

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