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« Hommage aux déserteurs... » (dans TéléCinéObs du 21 juin 2003)

La chronique " Ecoutez voir " de Jean-Claude Guillebaud

« Quiconque s’intéresse d’un peu près au système médiatique - ses règles, ses vanités, ses dérapages - bute tôt ou tard sur un non-dit. Ledit système, aussi clos sur lui-même soit-il, possède ses insoumis, ses dissidents et même ses déserteurs. On veut dire par là que, périodiquement, tel ou tel journaliste se cabre devant l’obstacle, se sent saisi d’un doute professionnel, et s’en va. [...]

Donnons quelques exemples. Denis Robert, journaliste d’investigation à Libération, spécialisé dans les affaires de corruption, annonça un beau jour qu’il n’en pouvait plus. De quoi ? De l’inutilité de son travail au regard de l’immensité des magouilles et de la solidité des connivences. Son témoignage fit quelque bruit. C’était bien. Cette rupture signait emblématiquement une époque. Dans un autre registre, Laurence Lacour qui, dans les années 80, couvrait l’affaire Grégory pour le compte d’Europe 1, éprouva subitement un dégoût pour ce qui se tramait là, sur les bords de la Vologne : un feuilleton judiciaire vaguement obscène, un acharnement à la limite du lynchage contre Christine Villemin, une course au scoop tellement échevelée qu’elle en devenait abjecte [1]. Du jour au lendemain, Laurence Lacour décida de rompre avec le personnage qu’elle était devenue et, du même coup, avec la profession de journaliste. Elle écrivit, à l’époque, un long et superbe article d’autocritique, puis un livre utilement dévastateur. [...]

A ces deux exemples, choisis un peu par hasard, on pourrait ajouter celui de tel grand photographe de guerre britannique, pris soudain de dégoût pour les mitraillages au Leica de la sauvagerie humaine au point d’y renoncer du jour au lendemain. Basta ! Ça suffit ! On pourrait évoquer, à droite, le cas de Jean Bothorel subitement révolté par le système de pouvoir et de renvoi d’ascenseur qui, à ses yeux, prévalait au sein de son propre journal (Le Figaro). Fondée ou pas - on est incapable d’en juger - sa révolte l’amena à rédiger un pamphlet sans concession, un peu comme on tire sa dernière cartouche. Plus récemment, on songe au cas de Daniel Carton, rompant avec ses rédactions successives - dont celle du Nouvel Observateur - dans un but de dénonciation [2]. Quel que soit le jugement que, à titre personnel, on porte sur le choix et les arguments de ces différents confrères, on a envie de leur faire un signe amical. Dans le système médiatique, rien n’est plus pernicieux que la routine, le cynisme, l’habitude, l’omerta, la somnolence déontologique ou, pire encore, le contentement de soi. Il est bon que, de temps en temps, quelques confrères nous rappellent cette vérité paradoxale : un bon journaliste est celui qui est aussi capable de s’interroger - mais radicalement - sur ce que nous faisons tous... »

Jean-Claude Guillebaud

Lire toute la chronique. [Ce lien ne fonctionne plus (le 10 novembre 2004)]

 
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