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Grippe A : un expert mis en cause ? France Inter prévient la contagion de l’information

par Olivier Poche,

Après la mise en cause du professeur Bruno Lina, accusé de conflits d’intérêts par Le Parisien, France Inter – radio sur laquelle il est régulièrement consulté au sujet de la grippe A – se mobilise pour laver l’expert de tout soupçon. Quitte à oublier, dans la précipitation, de faire état de l’enquête du Parisien, ou même de rendre intelligibles les pièces du dossier.

Jeudi 29 octobre 2009, la Une du Parisien annonce une enquête intitulée « Grippe A – Les vrais pouvoirs des labos ». En pages intérieures, un des articles, « Les multiples casquettes du professeur Lina », se penche sur le cas de ce professeur de médecine, « expert auprès du ministère de la Santé pour le risque pandémique » [1], et (entre autres) président du comité scientifique du GEIG, Groupe d’Expertise et d’Information sur la Grippe. Or le GEIG, révèle Le Parisien, loin d’être une association indépendante, « est en effet financé à 100 % par cinq laboratoires pharmaceutiques qui produisent des vaccins contre la grippe ». Et le quotidien francilien de conclure : « le risque de conflit d’intérêts est manifeste lorsque le professeur Lina s’exprime publiquement sur la vaccination contre la grippe saisonnière ou la grippe A. »

Porte-parole du midi

Le même jour, dans Intertreize, le journal de la mi-journée de France Inter, Clotilde Dumetz considère, mais sans dire pourquoi, qu’une question à ce sujet « vaut peut-être d’être posée ». Elle la pose donc à Hélène Cardin, spécialiste des questions de santé à France Inter :

- Clotilde Dumetz : « En ces temps d’épidémie grippale, la question vaut peut-être d’être posée : y a-t-il un lobby de la vaccination anti-grippe A, et surtout ce lobby a-t-il à sa tête le conseiller « grippe A » de Roselyne Bachelot ? Hélène Cardin ? »

En tant que journaliste « santé », Hélène Cardin est l’interlocutrice privilégiée de Mr Bruno Lina. Est-ce pour cela qu’elle se croit tenue de prendre sa défense avant même d’expliquer pourquoi, à tort ou à raison, il est mis en cause ? En tout cas, son entrée en matière donne le ton :

- Hélène Cardin : « Y a-t-il un lobby de la vaccination anti-grippe A ? Je l’ignore. En revanche, il est aisé de constater que les lobbys anti-vaccination sont très nombreux, que leurs arguments sont rarement scientifiques . »

Faut-il comprendre qu’il n’existe aucun lobby parmi les partisans de la vaccination et que leurs arguments sont toujours strictement scientifiques ? [2]. Peu importe : l’essentiel est de protéger le professeur Lina, sans rien dire des informations fournies par Le Parisien :

- Hélène Cardin : « Pour répondre aux accusations qui tentent de le déstabiliser , le professeur Bruno Lina, que nous avons reçu à plusieurs reprises à France Inter, tient à rappeler d’emblée qu’il est d’abord médecin et qu’il n’a pas choisi ce métier pour voir des enfants ou des adultes mourir de la grippe … »

Ainsi et de son propre aveu, c’est en qualité de porte-parole du grand professeur qu’Hélène Cardin intervient, qualité qu’elle conservera jusqu’à la fin de sa longue plaidoirie au discours indirect : « Il rappelle également qu’il a été choisi par ses pairs pour diriger le GEIG, le Groupe d’Expertise et d’Information sur la Grippe, qu’il est à ce titre organisateur de congrès au cours desquels sont diffusées les informations scientifiques. Des congrès financés le plus souvent par des industriels. Il dit jouer le rôle de courroie de transmission, mais n’entre jamais dans les procédés décisionnels. Ses conflits d’intérêts, ses collaborations avec les laboratoires sont publics et nul ne les ignore au ministère. Au ministère où l’on rappelle que le professeur Lina a été choisi en toute connaissance de cause parce qu’il est l’un des meilleurs experts. »

« Ses conflits d’intérêts sont publics » ? Certes, mais seulement depuis quelques heures et la parution de l’enquête du Parisien, que le professeur s’est alors empressé de confirmer – mais sans laquelle il est probable que les auditeurs auraient continué à « ignorer » ses « collaborations avec les laboratoires » [3]. De cette enquête, les auditeurs ne sauront rien. Ils sauront en revanche que M. Lina a de nombreux arguments, et qu’il peut compter sur Mme Cardin pour les faire valoir.

Avocat du soir

Quelques heures plus tard, Alain Le Gouguec revient sur le sujet : c’est le premier titre développé dans le journal de 18 heures :

- Alain Le Gouguec : « Le vaccin de la grippe A fait des heureux : les vaccinés qui échappent ainsi au virus, et les labos qui le fabriquent car vendre des millions de doses cela peut rapporter gros. Mais ce vaccin a aussi des effets secondaires je dirais des effets polémiques. Ce matin, nos confrères du journal Le Parisien ont mis le sujet à la Une. Le Comité qui conseille le Ministère de la Santé, le Comité qui encourage la vaccination de masse serait tout bonnement financé à 100% par les labos pharmaceutiques, alors jusqu’où va le pouvoir des labos ? C’est le coup de fil du 18h d’Inter. »

Incontestablement, le soir l’information est plus complète [4]. La question, reprise de l’enquête du Parisien, est prise à bras-le-corps : « jusqu’où va le pouvoir des labos ? » ; et pour y répondre, rien de moins que « le coup de fil d’Inter ». Reste à savoir qui on appelle…

- Alain Le Gouguec : « Bruno Lina, bonjour … Vous êtes professeur de médecine au CHU de Lyon et aussi président du GEIG, le Groupe d’expertise et d’information sur la grippe, le comité de lutte contre la grippe A… on vous reproche cette double casquette, et par là même d’être finalement au cœur d’un conflit d’intérêts. »

On l’aura compris, le coup de fil d’Inter n’aura pas pour but de répondre à la question posée, mais consistera à fournir une tribune de cinq bonnes minutes (sur un journal d’un quart d’heure…) à l’expert-maison injustement attaqué, et qui peut se rendre justice en personne, quelques heures après avoir dépêché sa porte-parole.

Après quelques questions sur le « conflit d’intérêts », Alain Le Gouguec élargit la problématique :

- Alain Le Gouguec : « Mais finalement, professeur Lina, vous ne pensez pas que le GEIG soit financé par les labos et que la campagne en faveur de la vaccination contre la grippe A connaissent quelques ratés, le public français n’est pas très chaud pour se faire vacciner, vous ne pensez pas que cela va ajouter encore plus au trouble des esprits, dans l’opinion publique ? »
[…]
- Alain Le Gouguec : « Vous ne donnez que des avis, on a compris. (…) Professeur, merci d’avoir commenté l’actualité en direct sur France Inter. »

Oui, « on a compris »… On a compris que « finalement », le seul problème posé par les liens éventuels entre médecins, laboratoires et pouvoirs publics serait de troubler les esprits et d’entraver la bonne marche de la campagne de vaccination. Voilà de l’actualité bien « commentée ».

***

Une heure plus tard, dans « Intersoir », dernier journal de quelque importance de la soirée, plus un mot sur la « polémique ». Sans doute ni Bruno Lina ni son avocate n’avaient pu se libérer.

Olivier Poche

 
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Notes

[1C’est la qualification qu’il revendique, selon Le Parisien, « sur la jaquette de son récent livre où il promet La Vérité sur la grippe A ».

[2Pour mémoire, on rappellera cette information « scientifique » d’Hélène Cardin, qui dès le 28 août 2009, affirmait : « les réfractaires choisiront ou non, comme je vous le disais, de se faire vacciner. Les effets secondaires du vaccin, en principe, il n’y en aura pas , je dis bien en principe, car nous savons que toute injection, comme toute intervention chirurgicale comporte quelques risques infimes, aussi infimes soient-ils bien sûr ». Bien sûr.

[3Rappelons que depuis 2007, l’article L4113-13 du Code de la santé publique fait obligation à tout professionnel de santé s’exprimant publiquement (à la radio, la télévision, ou dans la presse écrite) de faire état de ses éventuels conflits d’intérêt.

[4Même si la présentation qui est faite des informations du Parisien confond visiblement « GEIG » et « Comité de lutte contre la grippe » et est à ce titre inexacte.

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