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Un débat de mars 2001

France Culture, audiovisuel public, services publics (1)

Mercredi 7 mars, à l’initiative de l’association Rassemblement des auditeurs contre la casse de France Culture (RACCFC) s’est tenue une réunion d’information-débat à la Bourse du Travail de Paris sur les problèmes posés par le démantèlement de l’audiovisuel public. Devant une centaine de personnes très motivées sont intervenus plusieurs représentants d’associations et de syndicats.

Nous publions ici la transcription réalisée par le RACCFC.

Le premières interventions : Patrick Champagne (d’Acrimed), Charles Alunni (initiateur de l’appel "Délit d’Initiés"), Charlie Kmiotek (secrétaire général de la CGT Radio Télévision) - Message de François Parrot (de l’Association des auditeurs de France Culture - AFC)

 PATRICK CHAMPAGNE, membre de l’Acrimed, Sociologue à l’INRA et au Centre de sociologie européenne (EHESS) :

Je représente l’ACRIMED qui est l’abréviation d’Action Critique Médias, association loi 1901 qui a été fondée après décembre 1995, et qui se proposait d’être une sorte d’observatoire des médias, parce que les médias sont devenus de plus en plus des agents très importants de la lutte politique. La rencontre avec le mouvement de défense de France Culture n’est pas seulement une rencontre entre associations, mais une rencontre fondée sur un même constat : nous avons aussi constaté, sans concertation aucune, ce qui nous est apparu à nous aussi, comme une dégradation soudaine du contenu des programmes de France Culture. Ayant été alertés, par ailleurs, par des producteurs qui nous ont raconté ce qui se passait en interne, on a décidé de faire un texte qui a eu un certain retentissement parce qu’il exprimait finalement ce que beaucoup, auditeurs et producteurs, ressentaient. C’est ainsi que l’on a pris tout naturellement contact avec l’association des auditeurs de France Culture. On s’est rencontrés pour essayer de réfléchir sur ce qu’on pouvait faire. Notre action a conduit la direction à faire quelques changements, mais l’essentiel n’a pas été changé. En fait on assiste à un processus très général de remise en cause du Service Public. Un peu partout, on nie la spécificité de la culture, on impose l’idée que tout doit être rentable économiquement et que France Culture doit être une radio comme une autre. Il faut faire du profit à court terme. Mais même avec ces critères (il ne faut pas oublier que Laure Adler était censée redresser l’audience de France Culture et a embauché à prix d’or des personnalités très médiatiques), le résultat de la réforme est catastrophique, si catastrophique même qu’ils ne communiquent pas les chiffres d’audience. Non seulement ils détruisent ce qu’il y avait avant, mais en plus ils perdent selon leur propres critères. Et cela en toute impunité. Cette destruction de France Culture est grave parce qu’ils expulsent les derniers restes de vie intellectuelle autonome qui parvenaient à exister sur une radio. Tout à l’heure, on a rapporté les propos suant le mépris de ce responsable de France Culture qui justifiait les salaires énormes donnés aux personnalités médiatiques par rapport à ce que reçoivent les producteurs en disant : " on ne paye pas des Picasso le même prix que les croûtes ". J’ai cru qu’ils désignaient par " croûtes " les nouveaux venus [rires dans la salle] : leurs programmes sont nullissimes. C’est du talk show au kilomètre, sans préparation, sans tenir compte de la spécificité de la radio, sans imagination. Il font des débats en arrivant avec un " pour " et un " contre ", comme on le voit partout. Enfin bref France Culture est devenue largement, je crois, inécoutable. Comme partout ailleurs, ils font de la " promo " et de " l’actu " à tous les étages.

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? Je crois qu’il ne faut pas relâcher l’effort, mais c’est pas très facile. Il faut voir aussi ce qu’on peut faire en interne, et c’est pour ça que c’est important de savoir ce qui se passe en interne, il faut qu’il y ait des relais même si c’est très difficile, parce que les sanctions plus ou moins déguisées, tombent. Le combat de France Culture, c’est aussi le combat de France Musiques, qui est encore pire je crois, c’est d’une manière générale le combat de la radio de Service Public, le combat du Service Public d’une manière plus générale encore. Il y a des gens de la SFP ici parce qu’il y a aussi des choses qui se passent à la SFP qui sont totalement du même ordre et donc je crois que le véritable front de lutte, ce n’est pas simplement de récupérer une petite émission, comme certains le pensaient mais de défendre une certaine conception du Service Public et de la vie intellectuelle. C’est un combat contre un certain type de rapport au fric qui envahit aussi la vie intellectuelle. Il faut savoir que les nouveaux venus qui arrivent sur France Culture viennent faire leur émission en venant juste avant leur émission, font du papotage, et repartent aussitôt, sont payés dix fois plus que les producteurs qui faisaient un boulot pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour préparer des émissions originales. Il faudrait pouvoir afficher publiquement toutes les feuilles de paye de ceux qui travaillent à France Culture, cela mettrait une belle pagaille. On est aux côtés de ceux qui défendent France Culture mais ce n’est pas à Acrimed notre seul combat. Notre objectif est plus large. Nous nous intéressons plus généralement aux médias ; nous essayons de mener une réflexion avec la profession pour voir quel type d’action est possible. La lutte à France Culture est importante et s’inscrit de manière exemplaire dans nos préoccupations parce que, au-delà de France Culture, c’est le Service Public qui est en cause. Là aussi, nous sommes sur la même longueur d’onde que ce qui se fait dans le cadre de " Raisons d’Agir ". Nous défendons une certaine conception de la vie en société et de la vie intellectuelle. [Applaudissements]

 CHARLES ALUNNI, initiateur de l’appel "Délit d’initié", Responsable du Laboratoire Disciplinaire "Pensée des sciences" à l’ENS :

Je suis philosophe, et l’un des initiateurs du manifeste La transmission de la culture constitue-t-elle un délit d’initié ?", avec d’autres universitraires : Bernard TEISSIER, (mathématicien), Eric BRIAN (sociologue), Pierre Caye (philosophe). Qui sommes-nous ? C’est une question qui a beaucoup passionné et surtout irrité la direction de RADIO-FRANCE et de France Culture. Nous sommes des intellectuels, qu’est-ce à dire ? Certes, des gens de peu, des gens de rien pour la ce que nous appelons la "médioklature" de tout poil. Des gens de rien ? Je fais ici tout simplement référence à la façon dont nous avons été élégamment interpellés et qualifiés devant le théâtre de l’Odéon par l’actuel Directeur de la Fiction à France Culture. Inutile de dire ici le nom de celui que nos comédiens connaissent bien, et que je serais à mon tour tenté de qualifier de Directeur de l’"affliction". Ses seuls mots furent : "La bande à Alunni, on vous connaît, vous n’êtes que des néants" [rires dans la salle]. Sans doute faisait-il allusion aux signataires de notre Manifeste La transmission de la culture constitue-t-elle un délit d’initié ? Mais encore ? Aux centaines de personnes qui, à cette date, l’avaient signé, parmi lesquelles figurent (malheureusement semble-t-il) des... intellectuels [rires dans la salle]. Citons cette fois quelques noms : Alain CONNES, mathématicien mondialement reconnu, Médaille Fields de Mathématiques (1982) et, tout récemment, vous l’aurez peut-être lu dans la presse, Prix Crafoord (2001) [deux prix équivalents en Mathématiques au Prix Nobel] ; Claude COHEN-TANNOUDJI, prix Nobel de Physique ; Daniel MESGUICH, metteur en scène et comédien ; Pierre BOURDIEU, Professeur au Collège de France ; René MAJOR, Psychanalyste ; mais aussi Rodolphe BURGER, philosophe, compositeur et chanteur du groupe Katonoma, ou F.-J. OSSANG, metteur en scène de cinéma, écrivain, compositeur, chanteur du groupe MKB... Je pense que ce Monsieur faisait allusion à ce néant-là, et à ces "fictions"-là. Du néant d’ailleurs nous reparlerons peut-être plus tard, dans la discussion, au cours du débat, car ce concept (cette figure) implique toute une époque que nous vivons, et que comme philosophe, je qualifierai d’époque du nihilisme galopant.

Mais nous sommes aussi, certes, des gens de trop, et sur ce point je fais une allusion non voilée à Monsieur Jean-Marie CAVADA, Président de RADIO-FRANCE. En pleine occupation de la Maison de la Radio, et lors d’une rencontre avec toute la Direction de la Maison Ronde, que les comédiens avaient obtenue de haute lutte, et où j’étais invité par les représentants des syndicats de comédiens, Monsieur le Président s’est adressé à moi, suite à une question que je m’apprétais à lui poser, en ces termes : "Ah ! C’est donc vous qui représentez le complot extérieur des élites" [rires, applaudissements]. Je laisserai ici la question de savoir jusqu’où ces qualifications méprisantes et haineuses des "intellectuels" de ce pays, ne font finalement que trahir le sentiment réel qu’éprouvent ces gens distingués qui les profèrent à l’égard de cette culture qu’ils ont en charge. Dès lors, notre position, les raisons pour lesquelles nous sommes entrés dans cette lutte, c’est simplement par devoir et responsabilité de défense de quelque chose qui s’appelle la dignité. C’est sur ce principe que nous avons rédigé notre manifeste.

Étant donné qu’il constitue une première plate-forme qui s’appuie sur une analyse que nous comptons poursuivre et élargir, je voudrais vous présenter les trois points résumés de nos positions, les constantes de nos positions :

1. Le premier point concerne le Service Public et le marché concurrentiel. Un premier point qui nous paraît essentiel quant à l’analyse du texte d’intronisation de Monsieur le Président Jean-MarieCAVADA. C’est tout l’enjeu de la projection inepte et violente de la logique télévisuelle sur le Service Public Radio France. Les questions que nous posions à ce texte étaient les suivantes : quels en sont clairement les mots d’ordre ? "Séduction", je cite, "air du temps, lifting, violence de l’univers concurrentiel, marché" ou encore : "le contrôle est la rançon de l’autonomie" (je cite Monsieur le Président CAVADA, et je vous renvoie au texte complet du manifeste). Pour éviter sa marginalisation, il s’agirait donc d’aligner une entreprise publique de radio sur le régime de fonctionnement de la concurrence privée. Quelle serait alors, et c’est là l’une de nos questions, la nature de cette concurrence ? Serait-elle financière ou bien d’ordre culturel, scientifique et éducatif ? De plus, qu’apporterait l’entrée sur le marché d’un Service Public culturel ? Des parts de marché ? Des contrats d’investissements ? Un "merchandising" de gros rapport (les "produits dérivés" comme ils les qualifient désormais ?), des "droits d’exploitation " ? (Sur ces points, les choses se sont d’ailleurs "développées" depuis : surexploitation des gens quant à leurs droits d’exploitation, entorses graves au respect du droit moral des auteurs...). Rien de tout cela, sinon le mime fantasmatique du modèle de la grande entreprise.

2. Deuxième point, certes lié à la mise en oeuvre du premier (et déjà sensible sur la nouvelle grille et la nouvelle nouvelle grille actuelle), c’est la question de l’impartialité du Service Public gravement remise en cause par cette nouvelle politique :

a) c’est la question de l’entrecroisement pervers de la presse écrite et de la radio avec les conséquences évidentes de l’installation d’un oligarchisme de la communication culturelle incarnée par l’action prétendument séductrice et branchée "jeune" (dont Télérama avait lancé les premiers pétards mouillés dès le 11 Août 1999 !) : celle d’une "nomenklatura" discrétionnaire venant ainsi renforcer le pouvoir hégémonique d’une "médioklature" parisienne. Quel meilleur moyen pour faire avaler médiatiquement la nouvelle politique de la chaîne que d’y installer à domicile ses principaux représentants ?

b) c’est le constat que si écrivains, musiciens, cinéastes et universitaires ont toujours été les hôtes privilégiés des émissions culturelles, il nous semble aujourd’hui des plus malsains de les voir occuper des postes qualifiés, revenant, en principe, à de vrais professionnels de la radio. Face à cette nouvelle situation, on est en droit de se demander comment les critères d’impartialité et de professionnalité spécifique, qui ont fait le caractère précieux de cette chaîne pourront être sauvegardés ? C’est l’incontestable rôle de médiation et de neutralité scientifiques et institutionnellse des auteurs-producteurs et des journalistes scientifiques qui a permis, durant des décennies, que de véritables débats, très appréciés des auditeurs, trouvent leur place au coeur de ce Service Public. Mais je parle ici évidemment du passé !

3. Le troisième point concerne l’exception culturelle et la transmission des savoirs. Nous n’irons pas par quatre chemins : parce que France-Culture a toujours été une véritable fenêtre de liberté ainsi qu’un horizon de libre débat, elle reste pour nous un réel "trésor national" (et je cite ici Claude COHEN-TANNOUDJI) qui ne saurait, si ce n’est dans une logique de marché prétendue et ici aberrante, être l’objet d’aucun enjeu d’audimat. C’est là sa marque d’extraordinaire, celle de l’"exception culturelle" dont on nous dit, à juste titre, qu’elle n’est pas négociable (je cite Madame Catherine TRAUTMAN, ancienne Ministre, Le Monde des 10/11 Octobre 1999. Est-ce la prise de conscience d’une menace pesant sur la préservation de cette "exception" par la nouvelle politique menée à France-Culture qui aura poussé Madame TRAUTMAN à me demander un rendez-vous à son Ministère ? Son éviction, quelque jours plus tard, ayant annulé sa proposition de rencontre m’empêche à ce jour de le dire).

En ce qui concerne l’audimat, et il y a déjà été fait allusion ici, il faut souligner qu’il est particulièrement emblématique des incohérences, des contradictions et de l’échec effectif de la politique néolibérale de la médioklature actuelle. Car, cette même Direction qui prétend devoir tenir compte des nécessités dites économiques du marché concurrentiel en imposant la dictature d’un indicateur plus que contestable (et dominant dans le télévisuel), refuse tout simplement d’en tenir compte et se garde bien d’en communiquer les derniers chiffres absolument catastrophiques ! Je prendrai un seul exemple. La nouvelle grille a conduit l’audimat de France Culture de 1 point, comme ils disent, à 0,8 point (et aujourd’hui, en 2001, et pour ce qu’on en peut savoir de manière indirecte, à 0,6 point !). Au même moment, une émission que vous avez dû suivre j’imagine tout au long de l’année, et qui n’était autre que L’université de tous les savoirs, obtenait, pour s’en tenir à un "critère de santé" qui nous paraît toujours aussi discutable et peu sensé pour une chaîne culturelle, le chiffre record de 1,3 points (au moment même où la chaîne reculait à 0,8 point). S’il y avait quelque constance dans le positionnement de la Direction à l’égard de cette logique de l’Audimat, on aurait dû s’attendre, sinon à la promotion, du moins au maintien dans son poste de la responsable d’émission : eh bien non ! Cette productrice, coupable sans doute d’avoir su trop brillamment assumer ce dont plus personne ne voulait, défendant une vision et une pratique trop étrangères à la "nouvelle" Realpolitik, a tout simplement disparu de la chaîne... comme d’autres. Il faut d’ailleurs noter que des "producteurs tournants", il n’y en a plus sur la chaîne aujourd’hui que trois ou quatre, ce qui devient véritablement catastrophique, tant pour la chaîne, pour les garanties de sa traditionnelle qualité professionnelle et culturelle, que pour le personnel qualifié. Il est vrai que la nouvelle politique prétend les remplacer par les "jeunes" et les "stars" de la presse écrite...

Dès lors, notre position restera donc celle de la défense et de l’illustration d’un vrai partenariat désintéressé. Nous avons, par le passé, accepté d’y participer sans compensation financière, preuve de notre attachement à un Service Public qui jusqu’ici nous a toujours permis de transmettre à un public plus large, ainsi qu’aux étudiants, ces savoirs et cette culture que nous avons par ailleurs pour mission d’enseigner et de faire partager. Une brève incise ici, quant aux salaires dont il a été question tout à l’heure, concernant les nouveaux patrons d’émissions ; si connaître leurs salaires réels, comparés à ceux des professionnels de la Radio serait un véritable scandale (et là-dessus la chaîne se garde bien de s’en venter "à l’extérieur"), la véritable question reste qu’il ne s’agit pas dans ce cas de salaires essentiels, mais de salaires "de complément", ou de "supplément", c’est-à-dire venant en surplus du salaires des magnats de la presse, des directeurs d’édition, des directeurs de revue, etc... Cela permet effectivement qu’ils "gagnent" jusqu’à dix fois plus que ce que gagnaient les producteurs professionnels qualifiés qui ont été remerciés (ou qui le seront bientôt).

4. Quatrième et dernier point : qu’est-ce qui nous rassemble ici aujourd’hui, comédiens, artistes, compositeurs, chercheurs, personnalités de la culture et du spectacle, auditeurs surtout ? C’est l’amour du métier, sa défense et son illustration, celles des métiers des grands Services Publics, et c’est sans doute ce qui est le plus insupportable pour cette direction ; le goût pour la transmission du savoir et les savoirs-faire, que nous avons toujours partagé avec les professionnels de RADIO-FRANCE. C’est également le souci de la rigueur et de la créativité au service de l’excellence, le respect des compétences, des principes instruits, et non, contrairement à ce que prétendent les liquidateurs en titre de notre culture, l’obsession corporatiste d’une "élite" prétenduement "conservatrice" ; en tout cas, certes pas l’obscénité affichée du lobbying médiocratique.

Je terminerai en rappelant simplement que depuis la rédaction de notre manifeste, nous avons effectivement décidé de ne plus participer à aucune émission de France Culture "nouvelle grille, exception faite, mais désormais extrêmement rare, d’émissions "ancien format", puisqu’en signant ce manifeste, il était dit que "les signataires de cette adresse, auditeurs attentifs, prescripteurs indépendants ou libres invités, manifestent leur indignation à l’égard d’une telle politique culturelle et n’entendent collaborer en aucune manière à sa mise en oeuvre".

Voilà, je vous remercie pour votre invitation, votre résistance et votre accueil.

 CHARLIE KMIOTEK, secrétaire général de la CGT Radio Télévision :

Bonjour, je suis le secrétaire général de la CGT de l’audiovisuel, de l’ensemble du secteur public et privé, je vais poursuivre par rapport à ce qui a été posé comme question aujourd’hui sur la casse du Service Public. Elle est beaucoup plus importante et beaucoup plus grave que tout ce qu’on peut imaginer. Vous savez qu’hier plusieurs entreprises de l’audiovisuel publique étaient en grève, alors il y a France Culture qui est tout à fait un symbole de ce qui se passe, mais faut voir jusqu’où cela va. D’abord est-ce qu’il y a des lois européennes qui interdisent le développement du secteur public ? La réponse est non, parce qu’en matière de programmes par exemple, j’ai ici le nombre d’heures, c’est les chiffres européens, en terme de télévision, fabriqué en terme de fiction, en Allemagne il s’en fabrique 2000 heures, en Angleterre 1200, en France 600, France qui est un pays où l’exception culturelle est soi-disant la règle. Evidemment tout ça a des conséquences très importantes sur les exportations et sur la culture, très importantes. Et c’est un choix, politique, de ce pays.

La deuxième chose qui est en cours actuellement c’est l’externalisation des activités. La production intégrée en Allemagne elle est, c’est les chiffres européens, à 53,5 %, au Royaume-Uni 62,1 %, en France elle est à 13,4 %. Donc c’est pas un problème bruxellois, c’est pas un problème européen, c’est un problème de la politique française en matière culturelle et industrielle en termes d’industrie de programmes et de qualité de programme. Je crois qu’il faut qu’on ait cela en tête et qu’on arrête de nous dire que c’est ailleurs que ça se décide [applaudissements]. L’autre élément, c’est que la France était dotée de grands outils de création culturelle en matière de radio et de télévision. Radio France bien sûr, avec France Culture et ses autres chaînes, et puis la SFP, France Télévision, l’INA, voilà de grands organismes qui d’années en années ont été appauvris, voire asphyxiés, voire démantelés. C’est aussi une volonté politique de le faire. Je voudrais aussi rappeler, pour faire des programmes il faut de l’argent, vous savez qu’actuellement il y a de grandes fusions, connues, notamment Canal Plus, Universal, Vivendi, d’un côté, qui fait que Canal Plus est en train de passer sous contrôle américain, d’autres grandes fusions du genre Bertelsman, M6, groupe RTL et VCF, outil de fabrication français, passent sous contrôle allemand, TF1 est aujourd’hui, contrairement à ce qu’on raconte, pas en très bonne santé, TF1 est la chaîne privée qui perd le plus d’audience, qui a aujourd’hui bénéficié d’un résultat important au niveau des recettes, mais qui est dû à l’argent qui a été pris au Service Public en terme de publicité, les 600 millions qui lui ont été pris et qui ont été transférés, mais le résultat de TF1 et du groupe Bouygue sur les nouvelles technologies, et vous l’avez vu sur l’INTS, est que Bouygue a jeté l’éponge, donc c’est pas une entreprise aujourd’hui française qui est en situation de pérenniser les programmes ou la qualité des programmes, mais c’est simplement une industrie qui cherche de l’argent.

Donc il reste le Service Public pour défendre l’exception culturelle, la création dans ce pays, que ce soit en radio ou en terme de télévision. Et qu’est-ce qu’on fait ? Et bien on le casse. On le casse, vous savez les démantèlements qui sont en cours, les collègues de la SFP qui sont en bagarre et d’autres, mais on le casse financièrement. Les dettes de l’Etat, les dettes de l’Etat aujourd’hui vis à vis du service Public dans son ensemble sont de 21 milliards... 21 milliards ! Imaginez-vous que l’Etat n’ait pas payé Vivendi, Bouygue ou autres sociétés. Comment ces sociétés-là tiendraient ? Ben c’est pourtant ce qu’on demande au Service Public de faire. Donc il peut pas le faire, donc il est obligé d’abandonner un certain nombre d’activités et de créations. Je crois qu’il faut bien mesurer ça, 21 milliards de dettes ! Alors comment sont dus ces 21 milliards ? Ben tout simplement en 1983, le gouvernement, progressiste, a fait une loi sociale d’exonération de la redevance. Sauf que c’est pas le gouvernement qui l’a payée c’est le Service Public qui la paye, c’est des entreprises du Service Public. C’est un peu facile de faire des lois comme ça, parce qu’effectivement ça coûte pas grand chose à l’Etat, mais ça a coûté énormément aux entreprises. La deuxième chose c’est qu’aujourd’hui il y a une grande évolution technologique qui concerne aussi bien la radio que la télévision, c’est le numérique. Sauf que pour faire du numérique il faut de l’argent. La BBC l’a réalisé, ils ont dépensé en gros entre 8 et 10 milliards, d’autres pays nordiques sont en train de la faire. En France, la loi qui a été votée en août 2000 l’impose au Service Public, sauf que la loi de finance qui est derrière ne l’a pas prévu ! Et qu’est-ce que dit aujourd’hui le gouvernement ? Il dit faut le trouver en interne. Quelle est la réponse des présidents d’aujourd’hui ? Et bien c’est d’abandonner des activités. C’est ce qui se passe à Radio France, sur France Culture, c’est ce qui se passe à France Télévision avec le refus d’avoir un outil intégré de production et c’est l’externalisation des activités, pour trouver de l’argent en interne, par des plans de redéploiements, par des dégraissages d’effectifs, parce que c’est ça qu’est derrière, par l’ouverture du capital aux régions, aux autorités territoriales, à la presse quotidienne régionale... ça s’appelle une privatisation. C’est ce qu’on est en train de faire aujourd’hui du Service Public. Alors lui demander en même temps d’avoir une audience qui respecte des objectifs culturels, vous avez bien compris que ce n’est pas l’objectif qui est en cours. On a avec Marcel Trillat et Michel Viard, Marcel Trillat qui est connu à France 2 comme journaliste de lutte et qui a été élu au conseil d’administration de la holding et Michel Viard qui est le responsable du CNJ-CGT au niveau national, nous essayons de faire passer un article dans Le Monde depuis plusieurs jours, j’espère qu’on va y arriver, mais en tout cas on désespère pas, mais on essaie de poser cette question-là. Aujourd’hui on dit c’est pas un problème de nos entreprises, c’est un problème de citoyenneté, c’est un problème qui doit être sur la place publique, ça doit être un débat public dans ce pays pour décider, oui ou non est-ce qu’on conservera un Service Public, financé, autonome, à disposition des citoyens, ou pas ? Voilà la question qui nous est posée. [applaudissements]

Une intervenante dans la salle : Message de Jean-François Perrot de l’AFC.

Je fais donc partie de l’Association des Auditeurs de France Culture, l’AFC, et Jean-François Parrot qui est le vice-président m’a demandé de lire ce texte puisqu’il ne pouvait être présent ce soir :

" Ne pouvant pour des raisons personnelles être présent parmi vous aujourd’hui, je tiens toutefois par le biais de ce message à manifester mon soutien à votre action, auditeur de France Culture depuis de très nombreuses années, chaîne qui, jusqu’en 1997, était une mine inestimable de transmission du savoir dans de multiples domaines, tant par la qualité du travail de ses producteurs, de ses réalisateurs et de son personnel, que par le rythme qui lui était propre et qui incitait à la réflexion. Je n’hésitais pas, alors, à me faire le chantre de France Culture auprès des nombreux étudiants qui travaillaient dans mon laboratoire et c’était pour eux une véritable découverte et bien souvent un enchantement qui les poussait à apprécier cet aspect irremplaçable de transmission des connaissances et à acquérir une bonne approche de la France et de sa culture. Toute heure était bonne à prendre. Hélas, en 1997, la dégradation a commencé, des magazines hâtivement ficelés prenant le relais d’émissions construites.

L’arrivée de Laure Adler à la direction de la chaîne, n’a fait qu’amplifier ce phénomène, le temps de plus en plus débité en courtes séquences, des fonds musicaux visant à créer une atmosphère de supermarché se surimposant au discours. Comme si rénover à tout prix, consistait à transformer la culture en boite de conserve achetée dans le brouhaha, il en va jusqu’à la teneur du dernier slogan, que l’on retrouve d’ailleurs en d’autres lieux, d’autres circonstances, le T.G.V. ou les tickets de grande surface, par exemple : "prenez le temps". Oui, madame Adler, prenez le temps, vous-même de réfléchir à ce que vous avez mis en place, mais en revanche laissez le temps à vos auditeurs, afin qu’ils puissent l’utiliser à leur guise s’il en est encore temps. Mais ces quelques questions font sûrement double emploi avec tout ce qui a déjà été dit et répété sur la dégradation de France Culture et, ils le font sans doute aussi avec tout ce qui va être dit à ce sujet. Aussi voudrais-je n’ajouter que quelques mots sur un aspect tout aussi alarmant que la disparition de la qualité de France Culture. Il s’agit des menaces qui touchent à un Service Public. Menaces qui se manifestent ici et là, brutalement, à l’égard d’autres structures étatiques, et semblent bien traduire une ligne de conduite gouvernementale au nom de la prétendue globalisation et de la compétition acharnée qu’elle engendre.

C’est dans cet esprit, qu’au sein de l’Association des Auditeurs de France Culture, que je représente aujourd’hui depuis le 6 janvier dernier au titre de vice-président(nous sommes trois), que je lutte depuis deux années. Non seulement pour la défense de ce qui n’était jusqu’à présent qu’un luxe très égoïste, celui de l’auditeur d’une chaîne incomparable, maiségalement et surtout, car ceci est devenu naturellement indissociable, pour le maintien, voire le renforcement d’un service public dans tous les domaines. Ceci implique que tous les auditeurs s’associent étroitement aux luttes que mène lepersonnel de la chaîne. Il est clair qu’il convient de définir un véritable statut de la production radiophonique, il faut qu’une véritable sécurité de l’emploi s’applique aux créateurs. Non, la précarité ne fait pas bon ménage avec l’inspiration comme on le laisse souvent, incidemment, entendre ! En tant que chercheur, j’ai entendu en 1981 lemêmediscoursdelapartdu ministre de la recherche d’alors, Monsieur Chevènement, lorsque nous luttions pour une reconnaissance et une titularisation de notre emploi. Je ne pense pas que la défense d’intérêts individuels soit la panacée, que ce soit une solution pour les artistes de chercher à intégrer un groupe de ténors ou de barons qui s’approprient l’espace culturel, et en ce qui nous concerne, l’espace radiophonique. En effet, à mon sens, la dépendance vis-à-vis de ce (ou de ces) groupe(s) ne préserve en rien l’individualisme. Etre l’un des rayons d’une structure radiale dont le caractère démocratique est par essence douteux, ne rapproche en rien du pouvoir et isole en revanche chacun des intervenants. Dépendre directement de structures de décisions, qui ne permettent pas de réellement défendre les intérêts des personnes concernées, notamment vis-à-vis d’une direction qui ose affirmer, citation libre, que l’ "on ne paye pas le même prix un Picasso et une croûte", la mise à pied de nombreux producteurs et vedettes depuis la nomination de Laure Adler, illustre mon propos. Il est clair qu’il n’appartient pas directement à l’Association des Auditeurs de France Culture de se substituer à la lutte du personnel de Radio France et de tous ses intervenants. En revanche, par sa prise de position, elle doit être en mesure d’indiquer que cette lutte ne laisse pas indifférent les auditeurs qui chercheront par tous les moyens dont ils disposent, à infléchir la politique actuelle touchant les médias.

 
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