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Tribune

France 2 ou la complicité par défaut

par Philippe Arnaud,

A quoi reconnaît-on la différence entre l’absence de parti-pris et la désinformation ? A ceci, notamment, que la désinformation consiste en une accumulation d’omissions à sens unique. Les journaux de France 2 sont, à cet égard, exemplaires. C’est pourquoi nous publions ci-dessous, avec son accord et sous forme tribune [*], une lettre de Philippe Arnaud, Correspondant des AMD de Tours, datée du 22 décembre 2002.

Chers tous,

Nous avons, à propos du Venezuela, une occasion de mettre en pratique la surveillance active des médias. En effet, la couverture journalistique des événements de ce pays par une chaîne comme France 2 est scandaleuse jusqu’à la caricature :

1. Nulle part on ne dit que Hugo Chavez a été élu démocratiquement, avec majorité assez forte pour être incontestable et assez faible pour être incontestée (n’en déplaise à beaucoup, la République bolivarienne n’est pas une république bananière),

2. Nulle part on ne décrit les griefs contre Chavez (dictature ? corruption ? désastre économique ?) qui motiveraient les manifestations,

3. Nulle part on ne dit que les manoeuvres pour le déstabiliser ressemblent trait pour trait à celles qui ont renversé Salvador Allende : sauf qu’ici, en bloquant la production de pétrole, on paralyse aussi la distribution d’essence aux pompes, faisant ainsi d’une pierre deux coups : au Chili, il avait fallu, séparément, la grève des camionneurs ET celle des mineurs de cuivre d’El Teniente (c’est-à-dire à la paralysie de "la" ressource économique et des transports) pour étrangler l’Unité Populaire,

4. Nulle part on ne dit que les Etats-Unis (par Condoleeza Rice) et l’Europe (par José Maria Aznar) ont approuvé le coup d’Etat avant même que les putschistes aient prononcé leur premier mot officiel, 5. Nulle part on ne dit que les Etats-Unis n’ont même pas eu le plus petit mot de protestation contre le putsch d’avril ou le plus petit mot de félicitation lorsque Chavez est revenu au pouvoir, et qu’au contraire, ils n’ont fait que réitérer des mots de dépit et des mots de menace,

6. Nulle part on ne dit que celui qui a pris le pouvoir en avril (pour moins de 35 heures !) n’était ni un président à la retraite, ni un ministre au rancart, ni un général dans la naphtaline, mais le président du MEDEF local !

7. Nulle part on ne dit que les putschistes n’ont nullement été inquiétés, alors que, dans une dictature (comme on s’acharne à nous présenter leVenezuela sans preuves, et pour cause...), ils auraient été fusillés ou, au moins, jetés dans un cul de basse fosse,

8. Nulle part on ne dit que la manifestation qui a remis Hugo Chavez au pouvoir était deux à trois fois plus forte que celle qui l’en a chassé, et que les classes populaires sont (et restent) fortement mobilisées en faveur de Chavez,

9. Nulle part on ne dit que l’O.E.A. (Organisation des Etats Américains) a voté à la presque unanimité (moins deux abstentions) une motion de soutien à Hugo Chavez,

10. Nulle part on ne dit que cette stratégie de déstabilisation s’inscrit dans la programmation de la guerre contre l’Irak, afin d’assurer la sécurité des approvisionnements pétroliers en cas d’incendie des puits de pétrole du Proche et du Moyen-Orient,

11. Nulle part on ne dit que les images du Venezuela proviennent toutes des médias du pays, entièrement hostiles à Hugo Chavez, nulle part on ne souligne que les médias français n’ont pas fait le moindre effort ni pour envoyer un reporter ni pour chercher l’information auprès de médias alternatifs, au lieu de se précipiter comme des moutons au Koweït pour voir rejouer L’empire contre-attaque et (à l’instar de TF1) faire écraser leurs reporters comme des mouches par les chars américains,

12. Nulle part on dit qu’on joue sciemment avec l’image du général sud-américain, façonnée par des décennies de Hollywood, de bandes dessinées et de romans. Cette image est toujours un mélange, à parts variables, de cruauté, de couardise et de ridicule. Nulle part on ne cherche à détromper l’impression fallacieuse que c’est contre ce seul homme (curieusement présenté sans aucune base sociale) que "tout le peuple" se dresse,

13. Nulle part on ne dit que la CTV (Confédération des Travailleurs du Venezuela), loin d’être un syndicat digne de ce nom, est une association pourrie, dont les dirigeants ont négocié n’importe quoi avec le patronat en échange de subsides,

14. Nulle part on ne dit que les attentats commis au début de l’année - et tout de suite attribués à Hugo Chavez par la droite - n’ont pas été élucidés du tout, pour le plus grand profit de cette même droite,

15. Nulle part on ne dit que l’exigence de la démission de Hugo Chavez est inconstitutionnelle, de même que l’exigence d’élections anticipées que rien ne justifie.

Par toutes ces lacunes, par toutes ces paresses, par tous ces partis pris implicites, France 2 est objectivement complice du complot contre la République bolivarienne. Elle ne fait d’ailleurs que reprendre la tradition d’Yves Mourousi qui, le 12 septembre 1973, après le coup d’Etat de Pinochet, claironna triomphalement sur les ondes : "Chili, c’est fini !".

Le 22 décembre 2002.

P.S. : France 2, journal de 13 heures, dimanche 5 janvier, par la voix de Béatrice Schönberg, un flash sur le Venezuela de quelques secondes (peut-être une vingtaine), illustré d’images télé assez floues, le cameraman ayant eu l’air de se trouver dans des mouvements de foule. La luminosité était faible, les plans plutôt brefs (quelques secondes) et la plupart des scènes figurant des poursuites, des courses en tous sens, des bastonnades baignées dans une lumière gris-vert. Il était question de manifestations contre Chavez, et, à la fin, d’une manifestation pour Chavez. On y parlait aussi de l’enterrement d’un mort (sans savoir de quel côté il était) ni qui manifestait à l’occasion de ces funérailles. L’impression laissée est qu’il y avait du bordel au Venezuela, et que ce bordel, volontairement ou non, venait du gouvernement, soit que ce dernier l’ait lui-même suscité, soit qu’il n’ait rien fait pour l’empêcher, soit qu’il ait été incapable d’agir. Rien de changé : la chaîne, en ne prenant pas parti, prend parti. Il ne fallait pas attendre autre chose de Béatrice Schönberg : des sujets plus brûlants (météo, marée noire, Côte d’Ivoire, Irak, événements sportifs, plus grosse courge cultivée en Vaucluse) passent et passeront encore avant le Venezuela. (Philippe Arnaud)

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

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