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Forum 2003 : Quelques extraits des « grandes » radios

Quelques extraits des informations et commentaires sur le Forum Social Européen diffusés sur les « grandes radios ». Ils ne sont pas exhaustifs. Seulement significatifs : charpies d’informations, bouillies de commentaires.

Le 11 novembre 2003

 Sur RTL, le 11 novembre, Le FSE n’a pas eu droit à la moindre chronique. En revanche, au milieu des titres des flashes d’infos, on pouvait entendre quelques informations minimalistes :

- 12h : " ... Ce matin François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, a ouvert le Forum syndical européen. Dans son discours, il a réclamé que les syndicats aient davantage de poids dans la mondialisation. Demain commence le Forum social européen qui réunit les alter mondialistes, il se tiendra à Paris et en proche banlieue... "

- 13h : " ... Le Forum syndical européen, à défaut de Forum social européen : François Chérèque, patron de la CFDT, persona non grata auprès des altermondialistes - qui se réunissent à partir de demain à St Denis - a ouvert ce matin deux jours de débat pour les syndicats européens ".

Ignorance ou mensonge délibéré ? François Chérèque n’est pas " personna non grata des altermondialistes ". C’est la CFDT et son " patron " qui ont refusé de participer au Forum Social Européen.

 Sur France Inter, le 11 novembre, au journal de 8 heures, le Forum Social Européen fait l’objet d’une présentation dont " l’angle " politique ou politicien résume assez bien ce que l’information peut quand elle n’informe pas sur ce dont elle parle.

Après l’ouverture des titres du journal sur les tués de la route et les excès de vitesse de ministres, le cri d’alarme des patrons des Hôpitaux de Paris, l’intervention des intermittents du spectacle chez Pujadas, le FSE est évoqué sous un angle un peu particulier  : " Entendront-ils Daniel Cohn-Bendit qui défend mordicus la constitution de Valéry Giscard d’Estaing ? ". Le développement du titre, quelques minutes plus tard nous vaudra donc ceci  : " Grand rendez-vous des altermondialistes qui débutera demain... en région parisienne... on attend quelques 50000 personnes... Comme un préambule à ce forum les Verts ont débattu deux jours. " Et le journal d’évoquer les prises de position de José Bové et Daniel Cohn-Bendit : " Vous allez entendre Daniel Cohn-Bendit. " Suit alors sa fougueuse tirade contre ceux qui refusent la Constitution européenne. Une présentation qui n’a rien d’une prise de position, on s’en doute.

C’est tout pour aujourd’hui. Demain, on parlera du Forum Social Européen, c’est sûr.

En attendant, Stéphane Paoli, à 8h30 reçoit, dans " Question directe ", Patrick Braouezec, député et maire PCF de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Objet ? Parler de l’ " Appel pour une alternative citoyenne en Ile-de-France ". Question profonde : " Est-ce un projet d’alliance entre la culture de parti et celle d’association, au moment où s’ouvre à Saint Denis le Forum social européen ? Voilà bien des paroles d’altermondialisation. " Comprenne qui pourra...
Un peu plus tard : " On prend des risques en faisant des propositions. La vôtre, Patrick Braouezec, vous la faites à la veille de l’ouverture du FSE, n’allez-vous pas donner l’impression à tous ceux qui organisent ce FSE que vous leur coupez un peu l’herbe sous le pied en essayant d’inventer une nouvelle forme ou une nouvelle voie politique ? " Toujours ce soupçon politicien du journaliste qui récupère ce qu’il peut tenter d’analyser comme des tentatives de récupération.

A 8 h30, la revue de presse d’Yves Decaens s’ouvre par ce rapprochement audacieux :

" Un autre monde serait donc possible ? C’est curieux comme l’ouverture du FSE, le rendez-vous des alter mondialistes prend résonance particulière à l’occasion de ce 11 novembre... ". Suit alors l’évocation du 11 novembre et de la guerre en général, suivie de cette judicieuse précision : " C’est dans ce contexte que vont se réunir les alter mondialistes... " La revue de presse qui suit (L’Humanité, France soir, Le Monde, L’indépendant, Les Inrocks) se conclut par la reprise d’un extrait de l’éditorial du jour paru dans Libération, où Jean-Michel Helvig s’inquiète du " renoncement du mouvement social à gouverner " [1]. Ce qui nous vaut cette pertinente question : " ça veut dire quoi ? Qu’il est temps que le mouvement social se lance en politique comme vous l’avez fait Patrick Braouezec ? " (lire Libération, quotidien « branché » sur l’altermondialisme).

L’information dévorée par le commentaire semble pourtant complétée par le débat. De 10 à 11 h, sous le titre " les nouveaux contestataires", Isabelle Sommier et Miguel Benasayag sont les invités de l’émission " Alter ego ". Une présentation qui se veut pédagogique, ouverte à des interventions plurielles des auditeurs et, en milieu d’émission, d’Annick Coupé au téléphone. Et France Info à 18h17 invite... José Bové.

Le 12 novembre 2003

Sur France Inter, les chroniqueurs sont à l’ouvrage.

 Dominique Bromberger - " Alter mondialisation : critiques et propositions " -, tremblant de crainte, s’inquiéte de voir les partis politiques céder au pouvoir d’intimidation des altermondialistes. Et cela donne :

" Il ne ferait pas bon, ces jours-ci, émettre la moindre réserve vis-à-vis des mouvements alter mondialistes. Si ceux-ci sont capables de mobiliser des foules énormes, (...) ils attirent aussi une déférence qui est le signe de la crainte qu’ils inspirent. Ceci est vrai à gauche, bien entendu (...) Mais, cela l’est également à droite, où Alain Juppé se proclame alter mondialiste. A partir de là, les partis, chargés en principe de concourir à l’expression des suffrages universels, ouvrent au contraire la voie à tous les débordements, notamment de la part des mouvements trotskistes qui ont été, qu’ils soient français, britanniques, ou brésiliens, les premiers à donner de la voix depuis le week-end. "

Suit une liste dont l’énoncé même annule le refus de " condamner " :

" Le fait qu’il s’agisse d’un assemblage hétéroclite de quinquagénaires nostalgiques de mai 68, de révolutionnaires du Chiapas, de rescapés des Brigades rouges, de sans-terres du Brésil et de bourgeois bohêmes parisiens ne saurait à lui seul, faire condamner cette manifestation. Le rassemblement d’éléments aussi divers est, au contraire, le signe d’un malaise profond que la politique n’a pas été capable d’exprimer par les voies classiques de la démocratie représentative. "

Vient alors la dénonciation du " populisme ", grand sac vide qui permet à Bromberger, de construire les amalgames dont il est coutumier :

" Cette crise est perceptible partout dans le monde occidental comme en témoignent les succès populistes en Californie, en Amérique Latine ou dans les différents pays d’Europe. Certains de ces populistes se situent à droite, d’autres à gauche. Mais, tous, proclament que le peuple n’est plus entendu par les élites qui sont censées exprimer ses soucis et que la démocratie fonctionne imparfaitement. "

On vous épargne un passage, mais pas la fin :

" Se prononcer contre la mondialisation, comme ce fut le cas dans le passé, plus récemment contre la mondialisation néo-libérale, ou maintenant en faveur d’une alter mondialisation est, en outre, parfois complètement incompréhensible dans certains pays du monde. Dans l’Iran des mollahs, la mondialisation, qu’elle soit politique ou économique, n’a pas aussi mauvaise presse qu’en Europe. Et il en va de même dans tous les régimes dictatoriaux où les bandes au pouvoir se répartissent les ressources financières. "

Donc ? Donc : " La critique de la mondialisation et utile mais il faut prendre garde à ne pas en faire une nouvelle religion !... " Notre commentaire : " ! ... "

 Le Marc, le même jour, sous le titre " Altermondialisme, un mouvement interpellé par sa réussite ", donne aussi de la voix, alors qu’il a déjà dit à peu près le même chose une semaine auparavant :

" L’attention suscitée par le deuxième Forum Social Européen (le premier a eu lieu à Florence l’année dernière) est déjà un succès pour le mouvement altermondialiste. " Une attention aussi vide que verbeuse, du moins le matin sur France Inter. Mais qu’importe !

Le Marc sait qu’il est " né de la contestation marginale, porté par des organisations hétérogènes ", qu’il est " positif et même majoritaire, puisque ses thèmes séduisent par-dessus le clivage de la gauche et de la droite. ". Avec cette conséquence : " Ce qui explique cette percée médiatique et politique foudroyante, c’est à la fois la prise de conscience (y compris chez ses partisans) des dégâts, des désordres, des insuffisances d’un système économique mal régulé. "

La suite laisse présager en quoi il est dangereux :

" En mettant sur la table, sans précaution, les travers du système, en mettant le doigt sur les problèmes incontestables, les scandales, de son fonctionnement, en véhiculant sans se poser la question de leur faisabilité, des exigences simples  [2], le mouvement altermondialiste a réussi à créer avec les opinions ce contact que rêvent de rétablir - sans y parvenir - les partis et les gouvernements. "

Quand vient la morale provisoire de la soupe :

" Il est facile de rêver un autre monde. Il est infiniment plus difficile et plus exigeant de le bâtir. Ce qui suppose - si l’utopie reste bien sûr une valeur - des propositions et des démarches réalisables. Ce qui suppose aussi que ne soient pas jetés avec l’eau du bain libéral, les outils les plus sûrs et les plus utiles à la transformation du monde : l’Europe par exemple. "

Et, pour finir, les questions qui ouvrent le " débat " :

" Au fond, si le Forum Social Européen interpelle le politique, le mouvement altermondialiste est lui-même interpellé aujourd’hui par son propre succès. Piégé par la tentation d’une radicalité facile, menacé d’être pris en otage par les extrêmes, ou investi par le communautarisme, empêtré dans ses divisions et ses exclusives, restera-t-il une simple force de contestation ? Ou deviendra-t-il, en surmontant ses contradictions et en conjuguant exigence, responsabilité et démocratie, un vrai vecteur et un accélérateur efficace du changement ? "

 Quant à Bernard Guetta, qui nous avait déjà infligé, dès le 5 novembre, son onctueuse leçon, il revient à la charge, en tranchant avec l’autorité qui sied à celui qui sait que penser du Forum Social... le jour même de son ouverture : " La cécité du Forum social ".

Question douloureuse : " (...) Pourquoi le projet de Constitution européenne y sera-t-il vilipendé au même titre que la primauté des marchés ou la dilapidation des ressources naturelles ? " Le très-savant répond par cet à peu près : " La réponse serait que ce projet va faire de la concurrence un principe constitutionnel de l’Europe. ".

Le dialogue que Bernard Guetta instaure entre les deux hémisphères de son propre cerveau se poursuit ainsi :

- Question de l’hémisphère gauche : " Souhaitable en elle-même, cette " concurrence libre et non faussée " peut ainsi devenir, c’est exact, une arme brandie contre les services publics mais ce danger est-il pour autant une raison de refuser cette Constitution ? ".

- Réponse de l’hémisphère droit : " Non, ni de près ni de loin. ".

- Fin de la discussion : " Prétendre que ce projet constitutionnalise le libéralisme est en conséquence un simple mensonge. La vérité est qu’on trouve dans cet Article 3 tout ce sur quoi ni les libéraux d’un côté, ni les sociaux-démocrates et les démocrates-chrétiens de l’autre, ne voulaient pas céder et, dans la pratique, tout cela sera comme toujours, affaire de rapports de force politiques et sociaux, le contenu de la protection sociale comme celui de la concurrence. (...) A terme, cette Loi fondamentale va faire de l’Europe une démocratie parlementaire et c’est pour cela, pour se faire élire aux commandes de l’Union et pouvoir contrebalancer le Tout-marché, que ce Forum social et toutes les forces de gauche devraient au contraire défendre ce texte. Tout le reste n’est que cécité. "

Encore les ravages de ce journalisme qui sait sans avoir à s’informer.

Quant à l’invité de Stéphane Paoli, ce fut Jacques Nikonoff. Et l’émission se terminera par un rappel à l’ordre de Guetta sur la question du projet de constitution européenne :
« M. Nikonoff, vous savez ce qu’est l’économie sociale de marché. »
« Précisément, je ne sais pas », s’amuse Jaques Nikonoff. ...
« Vous savez parfaitement bien ce que c’est la protection sociale  », poursuit Bernard Guetta qui tient à toutes forces à avoir le dernier mot : « Vous avez une lecture complètement biaisée, partiale... et en elle-même, la concurrence, la détestation des monopoles, est une notion de Gauche depuis le début du XXe ! ».

Rappelons que Bernard Guetta, quand il s’ennuie, éditorialise également dans L’Express [3].

Ce n’était pas tout :

Pour France Inter, Jean-Marc Sylvestre avait consacré sa chronique au financement du FSE. S’interrogeant sur l’ aspect "technique" des choses, montrant que, s’agissant de l’organisation, le Forum est financé sur fonds publics à 95% (nous laissant toute latitude pour conclure...). Mais s’agissant des organisations (alors qu’il avait souligné la « pauvreté » d’Attac et le caractère intéressé des sponsors en général ), il s’attache en particulier aux ONG et insiste sur l’opacité de leur financement, ce qui l’autorise tout bonnement à terminer sa chronique sur cette audacieuse leçon de moralité :
« Là bon, je suis un peu très mauvaise langue, mais ce qu’on peut dire de ces mouvements de contestation qui réclament quand même du système capitaliste beaucoup de transparence c’est qu’ils en manquent singulièrement pour eux-mêmes » (lire aussi Alliance droite-extrême droite contre le FSE).

Et, face cette déferlante chroniqueuse, Daniel Mermet démarre ce jour-là une série d’émissions de « Là Bas si j’y suis » sur le FSE.

 Sur RTL, même moisson de chroniques destinées à expliquer ce qu’il convient de penser du Forum le matin même de son commencement.

- L’intervention d’Alain Duhamel (« Le Fait politique ») s’intitule : "Forum social européen : le retour de l’utopie". Extraits :

« Là, ce qui est frappant, c’est la résurgence, c’est les orphelins des révolutions, les déshérités des grandes idéologies qui réapparaissent, qui suscitent de l’intérêt, qui rassemblent des foules, qui existent et qui recherchent la volonté de démontrer que l’horizon du libéralisme n’est pas indépassable. (...) Le problème des altermondialistes aujourd’hui, c’est que ce sont encore des adolescents. Des adolescents hétéroclites, et que leur idéologie ressemble encore inévitablement à une sorte de capharnaüm. Protester est une chose, proposer est une autre. Expérimenter, oui, ils sont capables d’expérimenter. Ils font des propositions dans des domaines qui vont depuis la vigilance écologique jusqu’à la défense des minorités, en passant par le commerce équitable ou par des coopératives. Tout ça existe, mais au fond des choses, un système global avec des réponses politiques, avec des leviers économiques, non, il n’existe pas. Et comme il n’existe pas, du coup, ils sont vulnérables. Ils sont vulnérables à des tentations de noyautage par les trotskistes, elles existent, de récupération par les communistes, elles existent aussi, par aussi des dérives nationalistes ou souverainistes (...) ».

Tant de condescendance pour les " adolescents ", de la part du quasi-patriarche des éditorialistes multicartes, c’est émouvant !

- La chronique économique de Jean-Yves Hollinger - " Les succès des altermondialistes", à défaut d’informer sur le Forum lui-même, reconnaît l’apport du mouvement altermondialiste et fait clairement état de son thème central. Extraits :

« Mais ils ont le don de mettre le doigt là où ça fait mal. Comme leur nouveau combat pour une autre Europe : "quelle Europe voulons-nous ?" Ce sera la grande question de ce forum. Et c’est vrai, le social, c’est le maillon faible de la construction européenne. Le marché unique s’est fait sur la libéralisation des échanges, et c’est le système anglo-saxon qui s’est imposé. Aujourd’hui, nous assistons à la fin de l’Etat providence, mais sans savoir par quoi le remplacer. Et la constitution européenne, qui est en cours d’élaboration, ne comporte pas beaucoup d’avancées sociales. Elle est généreuse sur les principes. Elle fait référence au droit au plein emploi, au service public, à l’économie sociale de marché, mais quand il s’agit de passer aux actes, rien. Sur la durée du travail, sur le droit de grève, sur les rémunérations, sur l’égalité homme-femme, sur les comités d’entreprise, l’Europe économique n’a toujours pas de contrepoids social, et avant d’y arriver, il en faudra des forums altermondialistes. ».

Un commentaire qui peut inspirer des réserves, mais qui, au moins, parle de l’essentiel. Rare !

Quant à l’invité de Jean-Michel Aphatie, ce sera un inconnu représentatif : José Bové.

Bilan du 12 novembre : presque rien sur le Forum Social lui-même, simple prétexte à gloses générales sur l’altermondialisme... et moins que rien sur « l’Assemblée européenne des femmes » qui se tient le jour même.

Et cela continue les jours suivants.

Lire la suite : Quelques extraits des grandes radios (suite et fin)

 
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Notes

[1« La dynamique dominante alimentée en sous-main par certains est au délaissement de la perspective de gouverner, c’est-à-dire d’entrer dans le nécessaire arbitrage entre les intérêts contradictoires et la prise en compte des rapports de forces. ». Cet appel pathétique à la responsabilité politique, mais gestionnaire s’achève par un appel angoissé au réalisme : « Encore faudrait-il éviter qu’un fossé se creuse où seraient précipités tous ceux qui ne se résignent pas à ce que les « possibles » du monde tel qu’il est soient laissés en panne, dès lors que le monde tel qu’il devrait être n’advient pas. »

[2Souligné par Acrimed.

[3Une bourde intolérable nous avait fait écrire que Guetta écrivait dans Le Point : comme s’il était permis de confondre des hebdomadaires aussi radicalement différents ! (note du 20 novembre 2003).

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