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Fin de l’émission « Le Premier pouvoir »

par Henri Maler,

Ainsi vient de le décider l’une des autorités qui font la pluie et le mauvais temps dans le secteur public de l’audiovisuel : l’émission « Le Premier Pouvoir », animée par Elisabeth Lévy sur France Culture est supprimée. En charge de la pureté des ondes, David Kessler, Président de France Culture, en digne successeur de Laure Adler, supprime à son gré.

Lors de la dernière émission du « Premier pouvoir », enregistrée le 12 juillet et diffusée le 25, on a pu entendre Elisabeth Lévy lire à l’antenne le maigre argumentaire de David Kessler :

« Je ne connais pas d’émission, voire de chronique sur les médias qui ne soit elle-même prise dans la médiatisation. Je n’en connais pas qui ne verse soit dans le moralisme soit dans la connivence des réseaux que par ailleurs elle dénonce. Par ailleurs, une émission hebdomadaire sur les médias ne permet pas d’entre tenir un rapport suffisamment distancié à l’actualité ».

Toutes les apparences d’une critique lucide, mais seulement les apparences.

 Sous prétexte qu’une émission hebdomadaire ne permettrait pas d’entretenir un rapport suffisamment distancié avec l’actualité, c’est le journalisme sur le journalisme qui est condamné dans son principe même. Certes ce journalisme, quand il n’est pas caricatural, est souvent superficiel et doit être lui-même soumis à la critique. Mais c’est une limite de tout journalisme, parce qu’il est livré à l’actualité, de ne pas avoir souvent un rapport « suffisamment distancié avec elle » : pourquoi faudrait-il que seul le journalisme que, par principe, l’on condamne à l’inexistence et que, du même coup, l’on soustrait à toute critique soit précisément celui qui porte sur les médias ? A moins que David Kessler n’ait l’intention de supprimer toutes les chroniques matinales et les émissions sous-traitées à des journalistes multicartes qui envahissent les ondes de France Culture ?

 Sous prétexte que la critique des médias dans les médias échappe peu (c’est un euphémisme...) aux réseaux de connivence que par ailleurs elle dénonce, David Kessler s’en émeut, mais pas au point de mettre en question ces arrangements entre amis qui font, l’ordinaire de la programmation et de nombre d’émissions la station qu’il dirige. Au moins est-on certain, avec la suppression de toute émission de critique des médias sur France Culture, que les réseaux de connivence qui enserrent cette station pourront prospérer en toute quiétude. Elisabeth Lévy, fort discrète sur le sujet, est mal payée de retour.

 Sous prétexte que la critique du journalisme par les journalistes est souvent insuffisante, surtout quand elle se présente comme autosuffisante, et verse souvent dans le moralisme, David Kessler combat le symptôme par le remède habituel des Docteurs Diafoirus de l’audiovisuel public : casser le thermomètre pour faire tomber la fièvre.

Le jour où notre bon maître appliquera à toutes les émissions de France Culture les critères qu’il invoque, il lui restera deux solutions : ou bien construire des émissions qui rompent avec la politique suivie sous le règne de Laure Adler, ou bien ... supprimer France Culture.

Si nous ne nous sommes jamais exprimés sur la conception même du « Premier pouvoir », il nous est arrivé de dire sans complaisance particulière ce que nous pensions de quelques-uns des « rendez-vous » hebdomadaires proposés aux auditeurs pendant deux ans. Mais aurions-nous eu le pouvoir de l’obtenir, nous n’aurions jamais demandé sa suppression.

Cette suppression est d’autant moins acceptable qu’elle est le fait du Prince (qui exerce un pouvoir discrétionnaire et arbitraire) et qu’elle recourt à des arguments (de façade) d’une totale désinvolture. Suppression d’autant moins tolérable, que l’émission n’est remplacée par aucune autre sur le même sujet.

On pouvait reprocher à cette émission ses partis pris ou, du moins, certains d’entre eux. Et nous n’avons pas manqué de le faire [1]. Au moins pouvait-on lui reprocher quelque chose. Mieux vaut le conflit que le silence !

De là à soupçonner que la décision du PDG a pour but de priver Acrimed de l’une de ses cibles, il y a un pas que même notre mégalomanie ne nous permet pas de franchir...

Henri Maler


propos...

- Connivence (1) - Daniel Schneidermann ayant contesté sur Bigbangblog (« France Culture, la fin du "Premier pouvoir" », 5 juillet 2006) une « décision néfaste », on a pu lire parmi les messages de réaction à cet article, plusieurs réponses d’Elisabeth Lévy. Dans l’un de ces messages, tout en concédant que son émission sur la critique radicale des médias [2] était une « mauvaise émission », elle déplore nos critiques (en des termes tellement caricaturaux que nous nous essaierons de les oublier...) et se déclare prête à débattre avec nous. Ce sera avec plaisir...

 Connivence (2) - Lors de la dernière émission du « Premier pouvoir », diffusée le 25 juillet, on entendit ceci :

- Nicolas Weill : - Moi je pense que cette question de la connivence est très importante et elle nous renvoie au contexte de la naissance de toutes ces émissions, dont « Premier pouvoir », autour de critique des médias. Qui à mon avis sont des réactions à la poussée d’une critique radicale des médias qui est poussée dans un certain nombre de milieux, ou dans certains sites, ou sur le net, et qui mettent carrément les médias...
- Philippe Cohen - Dites « Acrimed »... Dites « Acrimed »
- Nicolas Weill : - En effet, pourquoi ne pas les citer ? Je pensais au livre de Pierre Bourdieu Sur la télévision - ça a commencé un peu comme ça -, Acrimed, les productions de Serge Halimi, bien sûr, qui ont mis d’ailleurs souvent « Premier Pouvoir » et vous-même sur la sellette, et moi-même d’ailleurs. Qui accusent systématiquement tout ce qui est produit par les médias de connivence. D’où la difficulté de trouver le ton juste entre le non-complaisance, la connivence et, en même temps, une certaine critique.

Les émissions de critique des médias seraient donc des réactions à notre critique. Aveu ou exagération ? Les deux peut-être... Nous accuserions tout ce qui est produit par les médias de connivence : malaise ou exagération ? Les deux peut-être.... Nous rendrions difficile de « trouver un ton juste » entre non complaisance et connivence. Comme si c’était une question de ton.

 
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Notes

[2Voir, notamment, « Analyse d’un non passage à l’antenne » (1) et (2).

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