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Faut-il privatiser la télévision publique ?

par Henri Maler,

Assourdis par le vacarme des fausses évidences sur la "qualité" de l’émission "C’est mon choix" diffusée sur France 3, tétanisés par les clameurs en provenance des rangs des députés soudain soucieux de la "qualité" des programmes, on n’a peut être pas remarqué toute la finesse de l’éditorial de Gérard Dupuy dans Libération du 25-26 novembre. Pour que cet éditorial reste - il le mérite - dans toutes les mémoires, nous le reproduisons intégralement (suivi d’un commentaire)

« Ban public »

Editorial de Gérard Dupuy
Libération du samedi 25 et dimanche 26 novembre 2000

« Certains mots sont plus souvent employés comme gargarisme publicitaire que comme outil linguistique désignant une réalité tangible. C’est le sort dévolu à l’appellation incontrôlée de « service public ». Ces mots servent de fourre-tout, du ramassage des ordures à la physique nucléaire de pointe, sans qu’on sache toujours ce qu’il en est du « service » rendu et de la raison pour laquelle il est « public », c’est-à-dire budgété sur le dos des contribuables. Cela se vérifie tout spécialement dans le domaine télévisuel, où les plus crédules et les mieux intentionnés doivent admettre que France 2 c’est exactement comme TF1, sauf que c’est payant. Et que c’est en outre obligatoirement payant, même pour ceux qui, d’aventure, ne regardent jamais les chaînes financées par le gentil contribuable.
Une des bonnes raisons de garder un espace audiovisuel public, c’est de garantir un minimum de concurrence avec la locomotive du privé, TF1. Mais cette concurrence serait tout aussi effective si la « 2 » vivait d’un financement privé et non du budget national. Il en va de même de la « 3 » qui, à côté de vrais efforts, tire de plus en plus du côté graveleux de l’existence contemporaine. Le mystère que les dévots du service public devraient éclaircir, c’est d’expliquer pourquoi F2 et F3 coûtent si cher aux téléspectateurs alors que TF1 ou M6 sont prospères sans rien leur demander... et sans démériter en comparaison.
Le « service public » devrait pouvoir se définir en termes fonctionnels et non comme l’agrégat des divers intérêts, corporatistes ou politiques, qui se drapent aujourd’hui dans cette honorable tunique. De même qu’on a fini par admettre que l’Etat n’était pas forcément le mieux placé pour fabriquer des automobiles ou des téléphones, on devrait considérer à la même aune la mise en scène du pétomane ou la retransmission des divers spectacles sportifs professionnels qui font chauffer le thermomètre de l’Audimat.
Peut-être, un jour, on pourra imaginer un service public télévisuel qui, au lieu d’être obèse et inutile, sera efficace et nerveux. Sans pub et sans trash. Autant rêver au Père Noël, dont l’heure approche et qui, lui au moins, est fidèle au rendez-vous. »

Une révolte fort libérale

M. Dupuy est tellement révolté que la colère brouille quelque peu le raisonnement. Il est simple cependant. Quand on prend le temps de démêler l’écheveau, on découvre trois arguments :

 Argument n°1 : M. Dupuy chérit les idées claires et les télés distinctes

* La tendresse de M. Dupuy pour les idées claires est déçue : « Certains mots sont plus souvent employés comme gargarisme publicitaire que comme outil linguistique désignant une réalité tangible. C’est le sort dévolu à l’appellation incontrôlée de “service public”. Ces mots servent de fourre-tout, du ramassage des ordures à la physique nucléaire de pointe, sans qu’on sache toujours ce qu’il en est du « service » rendu. »

On concèdera volontiers que la notion de service public ne diffuse pas une lumineuse clarté, du moins quand elle est complaisammment confondue avec celle de « secteur public payé par la redevance ». Mais si M. Dupuy - qui défend pourtant avec ardeur la clarté de la langue française - propose de les confondre, c’est qu’il est pressé. Noël approche, et notre éditorialiste n’a pas le temps de réfléchir à ce que pourrait être un service public de l’audiovisuel. Pour préparer les réveillons de fin d’année, il se borne à nous proposer une devinette : « Le “service public ” devrait pouvoir se définir en termes fonctionnels. » Peut-être saurons-nous ce que cela veut dire ... après les fêtes. En effet :

* «  L’affection de M. Dupuy pour les télés distinctes n’est pas payé de retour : Dans le domaine télévisuel, (...) les plus crédules et les mieux intentionnés doivent admettre que France 2 c’est exactement comme TF1. » br />
Les vitrines des grands magazins mobilisent toute l’attention de M. Dupuy. Par conséquent, il se contente de parcourir, d’un oeil distrait, les programmes offerts par les étanges lucarnes. C’est pourquoi il exagère un peu. mais soit ! Il est vrai que les différences sont loin d’être suffisamment significatives. Comment faire ? Cette question effleure à peine M. Dupuy. Ce qu’il veut, c’est en avoir pour son argent. Or :

 Argument n°2 : M. Dupuy paie trop d’impôts...

* Vraiment trop. Pour que nous le comprenions bien, M. Dupuy s’y reprend à trois fois. Le service est « public », « c’est-à-dire » - nous dit-il - « budgété sur le dos des contribuables ». Et « c’est en outre » - souligne-t-il avec élégance - « obligatoirement payant, même pour ceux qui, d’aventure, ne regardent jamais les chaînes financées par le gentil contribuable ». Enfin, le secteur public, c’est cher - tellement cher que cela vaut bien une sommation : « Le mystère que les dévots du service public devraient éclaircir, c’est d’expliquer pourquoi F2 et F3 coûtent si cher aux téléspectateurs alors que TF1 ou M6 sont prospères sans rien leur demander... et sans démériter en comparaison. »
M. Dupuy paie trop d’impôts et, comme il ne regarde jamais (ou presque ?) les chaînes publiques, il ne voit pas pourquoi il paierait pour les autres. M. Dupuy regarde peu la télé, mais respire l’air du temps. A pleins poumons : la démagogie sur les impôts étant fort à la mode, M. Dupuy ne peut pas rester en deça de la démagogie de son confrère Jean-Pierre Pernaut qui « anime » sur TF1 une émission entièrement consacrée à ce thème.

Pourtant M. Dupuy ne peut ignorer que :

- la télévision privée n’est pas gratuite, mais payante, car elle est financée par la publicité qui est un impôt indirect (et dissimulé) payé par les consommateurs, qu’ils regardent ou non les chaînes privées ;
- la télévision publique est certes partiellement payée par les télespectateurs, mais pour un montant dérisoire si on le compare, du moins pour l’instant, à son montant dans d’autres pays.

 Argument n°3 : M. Dupuy aime la concurrence, mais pas l’Etat.

* M. Dupuy aime la concurrence : « Une des bonnes raisons de garder un espace audiovisuel public, c’est de garantir un minimum de concurrence avec la locomotive du privé, TF1. Mais cette concurrence serait tout aussi effective si la “2” vivait d’un financement privé et non du budget national. Il en va de même de la “3 » ". Vive le marché ... contre l’Etat. »

*Car M. Dupuy n’aime pas l’Etat : « De même qu’on a fini par admettre que l’Etat n’était pas forcément le mieux placé pour fabriquer des automobiles ou des téléphones, on devrait considérer à la même aune la mise en scène du pétomane ou la retransmission des divers spectacles sportifs professionnels qui font chauffer le thermomètre de l’Audimat. » .

Que l’Etat se êle enfin de ce qui le regarde ! Après la version libérale du « trop d’impôts », la version non moins libérale du « moins d’Etat ». Et M. Dupuy de sussurer - à mi-voix de peur encore qu’on ne l’entende : « privatisons ! »

« Privatisons, privatisons ! » puisque ce serait croire au Père Noel que de penser qu’il peut exister un service public « sans pub et sans trash ».

Le désespoir de M. Dupuy est vraiment touchant...

Henri Maler

 
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