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" Face cachée " : Le Monde réclame un million d’euros

Le quotidien du soir a déposé le 3 avril une assignation en diffamation contre les auteurs et l’éditeur du livre La face cachée du Monde , réclamant en dommages-intérêts une somme exceptionnellement élevée.

Un mois et demi après la parution de La face cachée du Monde, le quotidien réclame un million d’euros de dommages-intérêts aux auteurs du livre, Pierre Péan et Philippe Cohen, à l’éditeur, Fayard, et son P-DG Claude Durand, dans une assignation en diffamation déposée jeudi 3 avril devant le Tribunal de grande instance de Paris [1]..

Selon l’AFP (3 avril 2003), le groupe Le Monde considère que " chacune des pages du livre pourrait être poursuivie en diffamation ", mais il ne vise dans son assignation " que les seuls passages qui leur imputent une participation à une infraction pénale ".

L’assignation se concentre sur quelques thèmes, précisés dans un extrait publié par Libération (4 avril 2003) :

" les auteurs prétendent : que le Monde ferait écouter les conversations de ses salariés ; que, dans le domaine de l’édition, il pratiquerait "trafic d’influence" et "corruption rampante" ; qu’il aurait organisé et protégé la fuite des assassins du préfet Erignac, et notamment d’Yvan Colonna ; qu’il afficherait régulièrement dans ses colonnes sa "haine de la France" ; qu’en adressant une facture d’un million de francs aux NMPP, il aurait commis un "larcin" qui aurait pu être poursuivi pour abus de biens sociaux ou détournement de fonds publics ; qu’à raison du rôle qu’il aurait eu dans le journal 20 Minutes, son directeur pourrait être poursuivi pour trafic d’influence ; qu’il présenterait des "comptes à la Enron" ; qu’il dresserait un véritable rideau de fumée autour de la diffusion du journal ; et qu’il pillerait les autres journaux regroupés sous sa bannière. "

"Cela me paraît standard et rien ne me semble joué d’avance de part et d’autre", confie au Parisien un spécialiste du droit de la presse. " C’est une assignation banale pour un procès classique ", affirme Me Muriel
Brouquet-Canale, l’avocate des auteurs. Réaction identique chez Fayard, la maison d’édition attaquée. " Les deux auteurs réunissent leurs documents pour l’offre de preuve, indique-t-on dans leur entourage. Ils sont confiants, et même assez rassurés, vu qu’on leur annonçait une plainte énorme avec trois passages incriminés par page ! " Dans Libération, Pierre Péan et Philippe Cohen soulignent que cette assignation " attendue " ne vise que " seize passages, représentant moins de quatre pages de l’ouvrage qui en compte 631 ".

D’autres assignations devraient suivre : celles de Jean-Marie Colombani, directeur du quotidien, Edwy Plenel, directeur de la rédaction, Alain Minc, président du conseil de surveillance, " et peut-être d’autres encore...", selon la direction du Monde, qui fait décidément durer le suspense...

Autre surprise de taille : Le Monde a choisi d’attaquer au civil et non au pénal. Cela n’est pas l’usage pour un procès en diffamation : le débat contradictoire est entravé... Et, comme le relève Libération, cette procédure n’a " pas la force symbolique d’une condamnation pénale éventuelle ", mais elle " laisse espérer au journal du soir des dommages et intérêts plus élevés, selon plusieurs avocats ". D’ailleurs, le montant réclamé par Le Monde est " exceptionnel ", s’accordent à remarquer les juristes. Le Monde a décidément besoin d’argent...

Outre des dommages et intérêts, Le Monde demande la publication de la décision du tribunal dans quinze journaux et son insertion dans les exemplaires du livre encore non vendus. Le million d’euros réclamé " servira à financer les passages radio et télévisés des extraits à venir du jugement ", a indiqué la direction du Monde à La Correspondance de la presse (4 avril 03). Il n’est pas précisé si les extraits du jugement seront diffusés dans le cas où Le Monde perdrait son procès...

" S’il est traditionnel que la justice condamne, en cas de diffamation, les parties assignées à financer la publication du jugement dans des journaux, il n’existe pas de précédent pour la télévision et la radio, relève une source proche du dossier, citée par l’AFP. La publicité de la presse à la télévision est actuellement interdite, mais le ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon s’est dit prêt mercredi à l’autoriser au 1er janvier 2004, Bruxelles jugeant "contraires à la libre concurrence" les interdictions de publicité à la télé pour plusieurs secteurs. " Une coïncidence bienvenue...

Le procès pourrait avoir lieu d’ici la fin de l’année. Paru le 26 février, La Face cachée du Monde (ed. Mille et une Nuits/Fayard), est toujours en tête des ventes avec 260.000 exemplaires vendus. " Même si beaucoup de choses sont horribles, tout n’est pas faux dans ce bouquin ", confesse au Parisien un journaliste du Monde qui regrette, en interne, " la totale
absence de remise en cause ".

Les auteurs ont estimé que le montant des dommages et intérêts constituait " un précédent dangereux pour la liberté d’informer ", reprenant ce qu’avait écrit Le Monde lorsqu’il avait été visé par une assignation similaire (lire " Le prix de l’indépendance ").

 
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Notes

[1Contrairement à ce qui avait été annoncé initialement par la direction du Monde, L’Express, qui avait publié des " bonnes feuilles " du livre quelques jours avant sa parution, n’est pas visé par cette plainte.

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