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Guerre contre l’Irak

Envoyés spéciaux : « l’imminente révolte de la garde » ?

par Claude Farine,

"Mesdames et Messieurs les envoyés spéciaux, que cachez-vous sous vos tenues de camouflage, que reste-t-il sous votre casque ?" Tribune libre [*].

Journal de la mi-journée à la radio : « Bonjour. La guerre en Irak : synthèses des combats, puis tour avec nos envoyés spéciaux sur place en direct. Entretien avec un confrère. Enfin, l’entrevue quotidienne avec notre expert militaire »… C’est la litanie des "flash" d’informations sur les ondes, presque heure après heure, en direct le plus souvent, parfois en différé car répété. Aucun recul, aucune analyse, la réalité brute et brutale de l’information partie pris.
Combien êtes-vous Mesdames et Messieurs les envoyés spéciaux ? Des centaines, des milliers même ?

« L’imminente révolte de la garde » ? Non, ce n’est pas à celle du président irakien que nous pensons, mais au titre du dernier chapitre du livre d’Howard Zinn [1]. Car vous aussi, les appariteurs de la pensée unique, vous êtes les gardiens du système [2]. Un système qui vous nourrit et que vous nourrissez. A quand cette révolte tant attendue ? A vous écouter, à vous lire aussi, en ces jours de guerre impérialiste, il ne peut y avoir beaucoup d’espoir. Toutefois les gardiens ont besoin des prisonniers et ce sont finalement ces derniers qui vous obligeront au changement.

Car, en ces jours d’information propagande, vous ne savez pas que nous savons. Oui, nous savons que vous vous déguisez sous les oripeaux de l’information marchande, l’information spectacle, l’information poubelle. Malgré vos casques, vos tenues de camouflage dans les machines à tuer de l’armée d’occupation, vous ne pouvez pas vos dissimuler. Vous êtes les oiseaux de la mort. Non seulement parce que vous nous offrez la mort en spectacle, mais parce que cette odeur de mort vous est collée à la peau. Dans vos écoles de journalisme, vous est-il seulement arrivé de lire des livres autres que des manuels de loyauté au système ? S’il vous plaît, prenez le temps de lire cet ouvrage d’Edward W. Said : « Culture et impérialisme » [3], plutôt que de perdre votre temps à essayer de nous soudoyer avec vos lancinantes chroniques de propagande militaire. Et dans cette attente, juste une citation :

« En Occident, les représentations du monde arabe n’ont cessé, depuis la guerre de 1967, d’être grossières, réductrices et ouvertement racistes, comme beaucoup d’études critiques en Europe et aux Etats-Unis l’ont établi et vérifié. Les films et émissions télévisées présentant les Arabes en « chameliers » loqueteux, terroristes ou cheikhs d’une richesse scandaleuse n’en ont pas moins continué à bon rythme. Quand les médias se sont mobilisés derrière le président Bush pour préserver l’american way of life et faire reculer l’Irak, ils n’ont pas dit ni montré grand-chose des réalités politiques, sociales et culturelles du monde arabe (dont beaucoup sont très influencées par les Etats-Unis)- réalités qui ont simultanément rendu possibles tant la sinistre figure de Saddam Hussein qu’un ensemble fort complexe de configurations radicalement différentes, comme le roman arabe (dont le grand représentant, Naguib Mahfouz, a reçu le prix Nobel en 1988) et les nombreuses institutions qui survivent dans ce qui reste de la société civile. Certes, les médias sont infiniment mieux équipés pour la caricature et le sensationnel que pour les lents processus culturels et sociaux, mais la raison profonde de ces idées fausses est la dynamique impériale, et surtout sa tendance à la séparation, à l’essentialisation, à la domination et à la réaction. »

Et plus loin :

« Enfin, l’autorité de l’observateur et la centralité géographique de l’Europe sont confrontées par un discours qui relègue sans appel le non-Européen à un statut racial, culturel et ontologique inférieur. Mais son infériorité est curieusement indispensable à la supériorité de l’Européen. »

Ainsi pourquoi référez-vous si peu à la source d’information qu’est la chaîne Al-Jazira ? Parce qu’elle, elle est libre comme l’écrivait David Hirst ? [4] Mais la raison est évidemment à trouver dans les propos d’Edward W.Said, cités ci-dessus. Il est impensable d’accepter, de regarder l’Autre puisque, toujours selon Said, « la source cruciale de l’action et de la vie sur la planète est l’Occident  »

Et si le jour était proche, Messieurs les journalistes, de la fin de vos privilèges de classe ? Car nous, les auditeurs, les lecteurs (c’est sciemment que nous ne parlons pas des spectateurs, car nul besoin d’observer le spectacle des télévisions. Il existe toujours des humains qui n’ont pas besoin de vous recevoir dans leur salon…), apprenons à chercher des vraies informations. Sans doute n’en êtes-vous pas conscients encore : outre l’existence de médias alternatifs, il existe une alternative aux médias [5].

Mais n’allons pas trop vite. Dans l’immédiat, c’est bel bien votre travail que nous dénonçons. Vos discours deviennent obscènes. Peut-être même pourrions-nous parler de perversion… Que cachez-vous sous vos tenues de camouflage, que reste-t-il sous votre casque ?

Un jour vous serez nus [6]. Et ce jour-là, « les prisonniers seront rejoints par les gardiens du système  » [7]

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

[1Howard Zinn : Une histoire populaire des Etats-Unis, Agone 2002

[2Serge Halimi : Les nouveaux chiens de garde, Liber-Raison d’Agir 1997

[3Fayard, Le Monde diplomatique 2000 ; chapitre premier "Territoires superposés, histoires enchevêtrées"

[4"Al-Jazira, une chaîne libre au Proche-Orient", Le Monde diplomatique, août 2000

[6François Ruffin - Acrimed (lien périmé, août 2013)

[7Howard Zinn, op.cit.

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