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Elkabbacheries (2) : Les suites de l’accueil réservé à Cécile Duflot par trois chiens de garde

par Henri Maler,

Julien Bayou, pour Europe Ecologie Les Verts, a adressé au CSA une lettre de protestation après l’accueil réservé le 15 mars 2015 à Cécile Duflot par trois chiens de garde lors de l’émission « Le Grand rendez-vous ». Et Elkabbach, dont le culot est sans limites, s’est déclaré surpris et… révolté.

Protestation

Julien Bayou, pour Europe Ecologie Les Verts, a adressé au CSA une lettre de protestation après l’accueil réservé le 15 mars 2015 à Cécile Duflot par trois chiens de garde lors de l’émission « Le Grand rendez-vous ». Le patient décryptage de leurs aboiements que nous avons proposé dans un article précédent ne laisse aucun doute : la protestation d’Europe Ecologie Les Verts, dans son principe sinon dans chacun de ses détails, était parfaitement légitime. Ce n’est en rien défendre les positions politiques de Cécile Duflot que de le souligner. Comme nous devons souligner que ces protestations, quand elles émanent de forces politiques et syndicales, seraient plus audibles et plus crédibles si elles ne concernaient pas exclusivement les mauvais traitements réservés à leurs représentants.

Sans doute ne peut-on être que réservé quand ces protestations sont adressées au CSA, tant il est vrai que ce n’est pas le rôle de cet organisme fantoche d’intervenir sur toutes les pratiques journalistiques : on a toutes les raisons de penser que sa dépendance le rend a priori suspect, alors que ce pourrait être le rôle d’un « Conseil de la presse », pour peu qu’il réponde à certaines conditions. En son absence et faute de mieux, reste le CSA…

Mais qu’importe tout cela à Elkabbach ? La protestation n’a pas plu au grand manitou, qui a bénéficié d’un droit de réponse… sur Europe 1. Et l’on a entendu ceci :

Surpris et révolté ?

Surprise ?

« Surpris », dit-il, parce qu’il n’aurait fait que suivre les conseils d’un collaborateur de Cécile Duflot qui aurait délivré un satisfecit à notre trio. Si c’est exact, sa soumission n’enlève rien à la critique que l’on peut faire de l’émission. Si c’est faux ou approximatif, c’est une nouvelle elkabbacherie dans une liste déjà longue… et qui s’allonge probablement encore.

En effet, selon Elkabbach, Cécile Duflot aurait appelé Fabien Namias, directeur général d’Europe 1, et lui aurait déclaré :« Ce n’est pas moi qui ai porté plainte. C’est quelques-uns de mes collaborateurs, les plus fous, les plus durs. Je ne m’associe pas, je ne souscris pas ». Cette étrange version n’a pas été contredite par l’intéressée. Pourtant, selon Metronews, « la radio Europe 1 précise quant à elle via son service de presse que c’est Fabien Namias qui aurait appelé Cécile Duflot, et que celle-ci lui aurait affirmé ne pas être au courant de la plainte, et "c’est tout", affirme le service de presse. » Pas question donc des « collaborateurs, les plus fous, les plus durs » et d’un désaveu [1]. Mais là n’est pas le plus important.

« Surpris », dit encore Jean-Pierre Elkabbach qui prétend que Cécile Duflot « a été traitée comme n’importe quel invité ». Si ce traitement était égalitaire, ce serait pitoyable : que peut-on retenir sur le fond d’un entretien morcelé et agressif, centré sur les jeux politiques plutôt que sur les enjeux ? Mais l’affirmation d’Elkabbach est mensongère : il est faux d’affirmer que tous les invités sont logés à la même enseigne. Jean-Pierre Elkabbach veut pour preuve du contraire l’entretien de la semaine précédente avec Manuel Valls. Un rapide test comparatif (avouons que nous n’avons pas eu le courage de détailler) montre au contraire que Manuel Valls a largement eu le temps de répondre et que lorsqu’il était interrompu, c’était beaucoup moins souvent et avec déférence.

D’autres tests comparatifs sont particulièrement éloquents. Comme celui que nous avons effectué dans un article précédent (« Jean-Pierre Elkabbach au service de Laurence Parisot ») en comparant l’interrogation de celle qui était alors la présidente du Medef avec l’interrogatoire de deux syndicalistes, Jean-Pierre Mercier et Mickaël Wamen. Ces derniers, avec Édouard Martin, avaient bénéficié d’une agressivité exemplaire (comme on peut le lire et le voir ici même (« L’interrogatoire de trois syndicalistes par Jean-Pierre Elkabbach ») [2].

Une agressivité véhémente qui contraste avec la courtoisie complaisante réservée à Nicolas Sarkozy, comme le montrent l’article que nous lui avons consacré cet aimable échange (« Interview de Nicolas Sarkozy : Jean-Pierre Elkabbach mis en examen pour trafic de connivence) et la mise en scène comparative proposée par la vidéo réalisée par Nada (« nous avons des armes) sous le titre « Elkalèche, Elkalach’ ».

Révoltant !

Révolte ?

Mais Jean-Pierre Elkabbach, lui aussi, est révolté ! Mais pas exactement pour les mêmes raisons que les nôtres. Il est révolté, dit-il dans le droit de réponse que lui a accordé Europe 1 et que, en vérité, il s’est octroyé, parce qu’il ne comprend pas qu’on aille « pleurnicher » auprès du CSA qui serait ainsi « transformé en un flic de la pensée ». Osons cette question dans le style d’Elkabbach lui-même : qui, dans certains de ses interrogatoires joue le rôle de « flic de la pensée » ?

Mais revenons au CSA et convenons, comme on l’a relevé plus haut, que l’on peut être réservé sur le rôle qui serait attribué à un organisme dépendant du pouvoir politique s’il avait à juger toutes les pratiques journalistiques. Mais la dépendance du CSA est le dernier souci de Jean-Pierre Elkabbach… qui fait mine d’ignorer, comme l’a souligné un collectif de féministes, mentionné par Les Inrocks, que la protestation peut se prévaloir de l’une des missions assignées au CSA tel qu’il est. Depuis la délibération du 4 février 2015, le CSA doit veiller « d’une part, à une juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et, d’autre part, à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple ».

On peut n’être pas convaincu que c’est au CSA que devrait revenir cette « veille ». Mais qui peut douter qu’elle soit indispensable ?

Et plus généralement, qui peut penser que puisse être délégué aux « chers confrères » (voir « Annexe ») la critique et l’autocritique de pratiques journalistiques dégradantes ? Europe 1 critiqué par Le Monde ou i-télé ? Il vaut mieux ne pas y songer. Le chenil des chiens de garde est bien gardé.

Henri Maler


Annexe : « Chers confrères »

Certes quelques médias se sont « mouillés ». Ainsi Politis, par exemple, sous le titre « Réacs et misogynes » a immédiatement réagi à l’interrogatoire des « chers confrères ». De même, autre exemple, Les Inrocks ont consacré un article sans ambiguïté à la prestation du trio. De même encore, « Arrêt sur images », dans un article tout en nuances. Mais d’autres, à l’instar de Metronews qui fut semble-t-il le premier à le faire, se sont bornés à mentionner le courrier de protestation de Julien Bayou, non sans biais significatifs. Ainsi Le Huffington Post n’a rien trouvé de mieux que d’intituler la vidéo consacrée à cette interview : « Le "baratin" de Duflot contre les journalistes. ». Le Monde quant à lui, prudemment, s’est abstenu de vérifier le bien-fondé des critiques et, délicatement, a omis de mentionner que parmi les animateurs de l’émission figurait un certain Arnaud Leparmentier, directeur adjoint des rédactions du Monde. Quant au Canard enchaîné du 11 mars 2015 (page 8), il en a rajouté une couche en décernant « La noix d’honneur » à l’interviewée : « Attribuée cette semaine, à l’unanimité, à Cécile Duflot. L’ancienne ministre du Logement, invitée du « Grand rendez-vous » (15/3), sur Europe 1, s’est insurgée contre certaines questions posées par les journalistes qu’elle jugeait trop dures. Elle a alors lancé : " Moi je suis pour la gentillesse, en politique." Elle a beau en être la vivante incarnation, la précision s’imposait. » Pourquoi ne pas avoir accordé ce prix convoité à Jean-Pierre Elkabbach, auteur de cette immortelle affirmation : «  Moi, je connais le doute. Je ne suis jamais péremptoire. » ?

 
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