Accueil > Critiques > (...) > Les mauvais comptes du pluralisme

PRESIDENTIELLE 2007

Elections et pluralisme : le cauchemar de Jacques Julliard

par Henri Maler,

Dans Le Nouvel Observateur du 18 janvier 2007, sous le titre « Un aventurier en charentaises  », Jacques Julliard consacre sa chronique à François Bayrou. L’occasion pour l’éditorialiste de s’insurger contre un prétendu égalitarisme potentiellement totalitaire.

Résumé du propos : « Faute de pouvoir présenter une solution politique viable, François Bayrou est condamné à une surenchère égalitaire permanente. D’où sa guerre contre les médias. » Car, voyez-vous : « [...] François Bayrou a réussi à changer son image traditionnelle, celle d’un centriste un peu tiède, d’un démocrate-chrétien classique, en celle d’un tribun véhément, d’un opposant acharné et d’un redoutable manipulateur des médias. »

Mais Jacques Julliard abandonne provisoirement le « manipulateur », pour se livrer à ses propres manipulations. Elles commencent ainsi : « Les candidats expérimentés le savent : quand on n’a pas la faveur du pronostic et que l’on piétine dans les sondages, il y a deux répliques possibles. Annoncer fièrement : attendez-vous à une énorme surprise ! Et dénoncer la partialité des médias, notamment de la télévision. Et cela marche. » Si Jacques Julliard le dit, c’est sûrement vrai, mais rien ne vient étayer son propos.

La suite est nettement plus étonnante : « Une bonne partie de la campagne du non au référendum du 29 mai s’est faite sur ce thème. ». Quel thème ? « La partialité des médias ». Une « bonne partie » mais quelle partie ? Jacques Julliard serait bien en peine de le dire. Ainsi, pour cette élite à laquelle Jacques Julliard s’enorgueillit en permanence d’appartenir, la partialité des médias ne serait pas un fait, mais un « thème ». Ce fut un simple « thème » en 2005. Et cela reste un simple « thème » en 2006 et 2007. Le déni de réalité ne fait que commencer...

La suite l’aggrave : « Et les médias ont suffisamment mauvaise conscience pour faire une place considérable à qui prétend n’en avoir aucune. » Peu importe si, dans la réalité (un mot trop rude aux oreilles d’un grand chroniqueur...), ne prétendent n’avoir aucune place que ceux qui n’en ont effectivement aucune : les autres se bornent (si l’on peut dire...) à affirmer, non sans raisons, que leur place est ou était minorée. Même le CSA - sans doute un repaire d’extrémistes... - en convient. Les médias, affirme pourtant le rêveur éveillé, leur ont accordé une place « considérable ». L’adjectif est suffisamment flou pour que personne ne puisse le prendre en défaut. Et pourquoi les médias ont-ils donné une place « considérable » aux minorités ? Par « mauvaise conscience ». A laquelle Jacques Julliard oppose la sienne qui est manifestement bonne et ne semble pas trop tourmentée par un souci d’exactitude. Il travestit immédiatement l’exigence d’une présence proportionnée et équilibrée dans les médias - ce que le CSA désigne du terme vague à souhait d’« équité » - en exigence d’égalité absolue et permanente : « Or l’égalité de traitement entre les candidats, qui est la règle dans la campagne officielle, celle qui est payée par le budget de l’Etat, deviendrait une absurdité si elle devait s’étendre à tous moments et à tous les médias. ».

Plus c’est gros et moins ça passe, même si une déformation « considérable » appelle quelques « trucages » supplémentaires. Par exemple, laisser entendre que l’égalité de traitement des candidats pendant la campagne officielle repose intégralement, comme celle-ci, sur le budget de l’Etat. Ou encore que la revendication d’un paysage médiatique effectivement pluraliste équivaut à demander une égalité de traitement dans chaque média pris isolément. Que Jacques Julliard se rassure : personne ne songe à demander au Nouvel Observateur de renoncer à publier ses parti-pris, aussi « absurdes » que soient certaines chroniques.

Jacques Julliard aime les sondages qui semblent lui donner raison : « Si l’on est tenu de faire la même place à Bayrou, crédité de 6 à 12% des intentions de vote, qu’à Ségolène Royal et à Sarkozy, qui oscillent entre 26 et 35%, il faudra nécessairement faire la même place à Villiers (2%) ou à Dupont-Aignan (1%) qu’à Bayrou. Et bien entendu, sur la lancée, à n’importe quel hurluberlu qui se prétend candidat qu’à Villiers ou qu’à Dupont-Aignan. » L’ignorance n’est pas un argument, sauf pour Jacques Julliard qui ne sait sans doute pas que le CSA lui-même - de plus en plus extrémiste... - se réfère non aux sondages, mais aux élections précédentes.

« L’excès de pluralisme tue le pluralisme », affirmait pompeusement sur France Culture Olivier Duhamel [1] qui ne s’indignait nullement que nous soyons si loin de cet excès, mais redoutait que les Français soient privés de débats (comme s’ils ne l’étaient pas largement déjà). Jacques Julliard est encore plus inquiet : « La télé va devenir passionnante », ironise-t-il. Rassurons-le : grâce à sa présence et à l’omniprésence de ses confrères et compères, elle l’est déjà.

En cours de route, la simple revendication d’un pluralisme effectif, non seulement quantitatif, mais également qualitatif, s’est transformée en « prétention extravagante à l’égalitarisme ». Prisonnier de ses nuées, Jacques Julliard s’interroge en effet : « Ce qu’il y a derrière cette prétention extravagante à l’égalitarisme ? » Et il répond : « L’identification de tout organe de presse, fût-il totalement privé, de tout journaliste aussi, à une sorte de service public de l’information.  » Pour se croire intelligent, il suffit d’inventer des imbéciles qui voudraient que chaque média, voire chaque journaliste, soit lui-même pluraliste. Mais retenons cette idée d’un service public de l’information : c’est une bonne idée, à condition que personne ne songe à nationaliser Jacques Julliard.

« Toujours lors du référendum européen, les journaux se sont vu réclamer avec véhémence de tenir la balance strictement égale entre les deux options jusqu’au jour du scrutin et, après celui-ci, de tirer toutes les conséquences de la décision souveraine du peuple. » C’est faux. Tout simplement (et intentionnellement ?) faux. Personne n’a demandé que chaque journal tienne la balance égale entre les opinions. Mais, c’est vrai, nombreux sont ceux qui ont constaté et dénoncé la disproportion, tous médias confondus, entre les partisans du « oui », totalement surreprésentés, et les partisans du « non », minorés et méprisés. Et la conséquence que l’on pouvait inviter à tirer, s’agissant des médias, de la « décision souveraine du peuple », c’était qu’il fallait transformer l’ensemble du paysage médiatique.

Or le chroniqueur souverain insinue une toute autre revendication et le déni de réalité se transforme en grande fabrique de fantasmes : « Les journalistes partisans du oui ne devaient-ils pas démissionner puisqu’ils avaient été désavoués ? » Qui, où, quand, des partisans du « non » ont-ils demandé la démission de qui que ce soit ? N’accusons pas Jacques Julliard de mensonge. Mentir consiste à dire le faux quand on connaît le vrai. Mais Jacques Julliard se soucie de la vérité comme d’une guigne. Il ne ment pas, il cauchemarde.

La question suivante est encore plus pathétique : « A-t-on encore le droit d’être minoritaire ?  » Cette interrogation, on l’a compris, ne vaut que pour les partisans du « oui » (qui ne furent électoralement minoritaires que le jour du vote et jamais dans les médias...). Elle ne concerne pas, selon Jacques Julliard, toutes les autres minorités qui sont confrontées à cette tendance à la « tyrannie de la majorité » qui serait le propre de la démocratie selon Tocqueville. Tocqueville que Jacques Julliard traduit ainsi : « Il y a dans la démocratie d’opinion, en dépit du pluralisme qu’elle suppose, une tendance naturelle au totalitarisme, dénoncée par Tocqueville. » La première victime de ce « totalitarisme », on s’en doute, ce seront ou ce sont déjà, tous les chroniqueurs, commentateurs, éditorialistes et penseurs de fond qui ne surpeuplent les médias que parce qu’ils y sont minoritaires ! Un cauchemar...

Henri Maler

PS : « Revenons à François Bayrou » écrit, pour finir, notre chroniqueur. On s’épargnera de l’accompagner dans ce retour qui amalgame extrême-droite, extrême-gauche et « extrême centrisme »..

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.