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EN BREF

Docteur Bourdin et Mister Jean-Jacques, ou l’histoire du journaliste qui faisait le « buzz » malgré lui

par Denis Perais, Julien Salingue,

Le 5 novembre dernier, Jean-Jacques Bourdin a « piégé » la ministre du Travail, Myriam El Khomri, au sujet du nombre de CDD qu’un salarié peut légalement enchaîner, cherchant manifestement à montrer qu’elle ne connaissait pas précisément les règles du code du travail. L’insistance du journaliste [1] à vouloir absolument mettre en défaut la ministre s’explique-t-elle par le fait que le « bon » Jean-Jacques Bourdin est un amoureux des petits patrons, et donc probablement un partisan de la « réforme » d’un code du travail dont on nous répète à l’envi qu’il est trop épais et trop complexe ? Peut-être.

Mais l’essentiel n’est pas là. Car en renouant avec la « question piège », qui ne peut manquer d’être génératrice de « buzz » lorsque des responsables politiques de premier plan sont confondus, Jean-Jacques Bourdin s’est surtout mis en contradiction avec les vues et les déclarations de… Bourdin Jean-Jacques. En effet, dans son livre L’homme libre [2], l’intervieweur expliquait qu’il avait renoncé à ce type de question : « À l’été 2011, je reste à 100 % au micro ou devant les caméras de mes stations de cœur, RMC et BFM TV. Je prends alors une décision importante, une décision risquée, mais conforme à ma réflexion éthique : stopper la question "politiquement concrète". Tant pis pour le buzz » (p. 27).

Un « risque » guidé par « l’éthique » de celui qui reconnaît pourtant dans son livre les vertus, en terme d’audimat, de ces fameuses questions :

Une question si directe et si inattendue a de quoi déstabiliser l’invité. C’est mon but. Elle est d’autant plus repérée, puis « guettée » par le téléspectateur, que je la fais précéder d’un jingle […]. De surcroît, cette question politiquement concrète fait grimper l’audience. De 150 000 téléspectateurs par quart d’heure, l’audimat télé double en quelques mois seulement (p. 19).

Mais promis, c’est fini. Et les raisons de cet arrêt sont explicites :

Fatalement, ces questions ont grandement contribué au « buzz » de mon émission. Pas un auditeur croisé au hasard des rues qui ne m’interpellait alors à leur propos : « Et demain, vous avez qui ? Vous lui poserez quelle colle ? » Le « gimmick » contribuait au succès de l’émission, tout en pesant sur le contenu de l’interview, la forme l’emportant finalement sur le fond. Le piège s’amplifia à mes yeux quand, moi-même invité de plusieurs émissions de télévision à grande audience, je fus soumis au jeu des commentaires sur un défilé d’images montrant, entre deux rires de plateau, des personnalités en mauvaise posture. Je commençais à être considéré comme un « sniper à la question qui tue », et cela me dérangeait. Les grandes et vraies questions qui inquiètent l’opinion ne peuvent ni ne doivent céder à l’écume de l’anecdote. Oui à l’interview vérité, non au jeu de l’interview qui finit, malgré moi (mais tant pis pour moi, c’est le revers de la médaille), par alimenter le buzz médiatique (p. 25).

Nous n’en dirons pas plus, et chacun pourra apprécier si le piège tendu à Myriam El Khomri est l’œuvre du Docteur Bourdin, qui ne s’intéresse qu’aux « grandes et vraies questions qui inquiètent l’opinion », ou de Mister Jean-Jacques, « cédant à l’écume de l’anecdote pour alimenter le buzz médiatique ».



Denis Perais et Julien Salingue

 
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Notes

[1Insistance que l’on pourra constater en visionnant la vidéo disponible sur le site de BFM TV.

[2Le Cherche-midi, 2014.

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