Accueil > Critiques > (...) > Internet et libertés

De la loi DADVSI à la loi dite « Hadopi » : « Pire tout pire ! » (Sud Culture Solidaires)

Nous publions ci-dessous une motion adoptée par le 4ème congrès de SUD Culture Solidaires le 26 mars 2009 (Acrimed).

Le 12 mars, la Ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, a présenté aux députés son projet de loi « création et internet » (dite aussi loi HADOPI [1]). Cette loi doit remplacer la loi DADVSI [2] - qui visait déjà à punir le téléchargement illégal - adoptée non sans péripéties et remue-ménage en 2006, et si mal adaptée à son objectif qu’elle n’a jamais pu être pleinement mise en application. Cette nouvelle loi répressive risque, elle aussi, de ne servir à rien : totalement contestable sur le fond, inapplicable et très coûteuse.

Flicage et répression

Le dispositif phare de ce projet de loi est « la riposte graduée » qui va de l’avertissement jusqu’à la suspension de l’abonnement internet. Ce mécanisme répressif vise à condamner une pratique mettant à mal l’industrie culturelle. Jusqu’à présent, les grands groupes de télécommunications s’étaient tenus à l’écart de toute prise de position publique en faveur d’une réglementation stricte. Les opérateurs de réseaux se sont opposés à toute solution du type redevance dont ils estimaient qu’elle constituait un problème financier pour eux, en élevant la facture internet de leurs clients sans qu’ils en touchent eux-mêmes les bénéfices.

En réalité, industrie du disque, du cinéma ou des télécoms, chacun semble s’être entendu pour brider les usages d’internet et toute utilisation non marchande de ceux-ci.

Bras armé du flicage : les fournisseurs d’accès à internet (FAI)

Les fournisseurs d’accès à internet vont devoir permettre la localisation de leurs clients. Si ceux-ci ne respectent pas la loi, ces mêmes opérateurs devront leur couper l’accès internet (en continuant de les facturer). Cette suspension de l’accès à internet pose la question de la relation entre le client et le fournisseur d’accès, car les opérateurs – les FAI - vont être perçus comme le bras armé de la justice. Est-ce là le rôle d’un fournisseur d’accès à internet ?

Service universel

En 2009, le fait de disposer d’un accès de communication tel qu’internet ne relève-t-il pas d’un droit universel au même titre que de disposer de l’accès au téléphone ? Peut-on encore considérer internet comme un produit commercial de luxe ou bien s’agit-il d’un bien de première nécessité ?

SUD Culture Solidaires considère qu’aujourd’hui notre société doit répondre à toutes les attentes à la fois des artistes, éditeurs et des producteurs de contenus, et des consommateurs/utilisateurs.

Caricature

Comme il y a trois ans avec le projet de loi DADVSI, SUD Culture Solidaires considère qu’il est illusoire et dangereux de trancher le débat de cette manière, et qu’avec cette loi répressive on puisse répondre au besoin essentiel d’accès à la culture pour tous. Et ce, au moment même où les nouveaux modes de consommation via internet se sont largement étendus ces dernières années et que les pratiques des réseaux sociaux, d’échanges de contenu sont des usages moteurs du développement d’internet.

Statuer ainsi en faveur de multinationales culturelles au mépris des nouvelles technologies et des nouveaux usages tels que la consommation de produits culturels dématérialisés ou bien rejeter toute idée de partage sur les réseaux sociaux ne peuvent être que des visions à court terme. Ne retenir que l’aspect financier du problème démontre l’incapacité du gouvernement à comprendre et anticiper le désir de liberté des utilisateurs. Ce projet de loi semble être borné par des intérêts purement mercantiles. Dans le même temps, nous constatons que la fréquentation des salles de cinéma ou de concert augmente... Nous sommes loin de la caricature d’usagers bornés et purement consuméristes.

Une loi qui risque d’être tout aussi inefficace que la précédente

Il n’est pas certain en effet que la loi HADOPI puisse se montrer plus efficace que la loi DADVSI. Les usages se diversifient sans cesse, suite aux bouleversement technologiques innombrables. Le dispositif prévoit que c’est le fournisseur d’accès (FAI) qui devra mettre en oeuvre la « riposte graduée » contre l’IP fautif dont l’adresse lui a été communiquée par les différentes polices des « ayants droit » . Or, aujourd’hui, la connexion à internet ne s’effectue plus uniquement, comme il y a 10 ans, grâce à un modem avec une adresse IP. L’application de cette loi risque donc de soulever d’innombrables et insolubles problèmes juridiques. D’autre part, de nouveaux usages se développent pour contourner le téléchargement, comme le « streaming », véritable alternative au téléchargement de découverte, qui permet l’écoute et le visionnage de fichiers en ligne : une solution souvent légale et facile d’usage pour les internautes. Ce projet de loi est donc bien en décalage avec la réalité d’aujourd’hui et, surtout, celle de demain : en matière musicale, le glissement du téléchargement illégal vers l’écoute en ligne croît chaque jour tandis que les catalogues en ligne se développent : en donnant accès à tout instant à n’importe quel morceau, les sites légaux de streaming rendent caduque la nécessité de « posséder » des titres.

Placer la société sous surveillance

Avec cette loi (comme avec la loi DADVSI), le président de la République et le gouvernement veulent deux choses :

1. Rassurer les lobbies des producteurs et ayant-droit, afficher la fermeté du pouvoir et faire peur aux internautes.
2. Préparer le filtrage du net. Cet objectif – peut-être le plus dangereux parce que le plus liberticide – qui n’apparaît que comme effet secondaire de la « riposte graduée » est pourtant affiché en toutes lettres dans l’acronyme qui sert à désigner cette loi : Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI). Comme le CSA pour l’audiovisuel, l’HADOPI a vocation à devenir l’organe de contrôle et de régulaton du web.

Télévision publique muselée et sous perfusion... la presse définitivement entre les mains de quelques grands groupes dirigés par des amis du président...et maintenant la domestication d’internet, canal rebelle : Big Brother n’aurait pas fait mieux ! Au secours « 1984 » arrive !

Ce que nous pensons

SUD Culture Solidaires réaffirme qu’aujourd’hui encore il n’y a plus qu’une seule chose à faire : retirer purement et simplement de l’ordre du jour parlementaire ce projet de loi, mal ficelé et dangereux pour les libertés, en un mot inacceptable, afin de permettre la mise en place d’un débat public et la rédaction d’un texte associant réellement dans son élaboration l’ensemble des parties concernées. Il s’agit aujourd’hui de contrer la volonté gouvernementale d’étouffer tout réel débat sur des questions qui concernent pourtant bien l’avenir de tous – tant il s’agit de savoir comment et pour qui seront utilisés les progrès gigantesques effectués dans le domaine de la diffusion de contenus culturels numérisés. Les implications de ce texte vont influer sur la vie quotidienne de millions de citoyens et d’utilisateurs de données numériques, sans parler des conséquences sociales, technologiques, économiques, etc...

SUD Culture Solidaires réaffirme sa position adoptée face au projet de loi DADVSI lors de son congrès de janvier 2006. Nous nous prononçons contre les dispositifs répressifs du projet de loi HADOPI qui se cachent sous le vocable angélique de « riposte graduée » : ces dispositions répressives trop criantes ne font qu’entériner la logique initiale d’un projet de loi au seul service d’une poignée de majors des industries de la communication.

Nous nous prononçons pour la mise en place d’un système visant à permettre aux internautes de télécharger librement des fichiers sur le Web moyennant le paiement d’une redevance mensuelle symbolique incluse dans leur abonnement à Internet - redevance qui devra être exclusivement reversée à des structures transparentes qui restent à créer, chargées de répartir, selon un mode de répartition juste et équitable, les sommes correspondant à leurs droits aux auteurs, artistes, interprètes, producteurs, etc. Contrairement à ce que veut laisser croire le gouvernement et certains artistes professionnellement liés avec des multinationales, cette position rejoint celle d’une très grande majorité de professionnels des secteurs concernés.

Retrait immédiat du projet et ouverture d’un véritable débat national !

Motion adoptée par le 4ème congrès de SUD Culture Solidaires
Die, le 26 mars 2009

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1HADOPI : Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.

[2DADVSI : Droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.