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Dans Politis : Sur les Journaux Télévisés (entretien avec Yves Rebours)

par Yves Rebours,

L’entretien suivant est paru dans Politis, le jeudi 4 décembre 2003.

« On bride la créativité ! » [1]
Yves Rebours, membre d’ Acrimed, analyse le formatage des journaux télévisés.

 A votre avis, peut-il exister une autre manière de faire de l’info ?

Il existe probablement une autre manière de le faire, à condition que la télévision obéisse à d’autres logiques que les logiques commerciales. L’évaluation de l’audience des Journaux Télévisés - qui n’est pas un mal en soi - est une évaluation d’audience instantanée, effectuée en termes essentiellement quantitatifs, ajustée aux exigences des publicitaires. Ce que l’on appelle satisfaction ou insatisfaction des téléspectateurs a tendance à se réduire à leur seule présence devant le petit écran. A la limite, peut importe l’usage qu’ils en font. Or ce qui importe pour une information de qualité, c’est de savoir ce que les téléspectateurs font de l’information qu’ils reçoivent. Pour que le JT changent vraiment, c’est le mode s’appropriation et de financement des télévisions qui devrait être mis en cause. Et pour cela, il faudrait tout d’abord créer les conditions d’une re-mobilisation sociale et politique sur la question des médias qui permettrait au moins de redonner aux journalistes réfractaires les moyens d’agir. C’est cette mobilisation qui, avant 1981 (je ne cite pas cette date au hasard) avait permis de desserrer l’étau du contrôle politique direct. Mais la réponse des pouvoirs politiques a été, dès 1974, le démantèlement de l’ORTF, puis l’introduction de la télévision privée, et enfin la privatisation de TF1. A partir de ce moment le secteur public, sous financé et dépendant de la publicité, est entré en concurrence avec la télé privée sur le même terrain et avec les mêmes armes. La ligne éditoriale elle-même (et cela se vérifie dans la presse écrite) est dévorée par cette orientation commerciale. C’est un peu : « Dis-moi qui te paie, je te dirai qui tu es ! »

 Une logique qui nuirait à la production de qualité de l’information ?

Robert Namias se félicite du JT de TF1 parce qu’il est « consensuel ». On ne saurait être plus clair. La diversité et la conflictualité démocratiques sont abolies pour laisser la place à ce que Pierre Bourdieu appelait « l’information omnibus » : celle qui convient à tout le monde parce qu’elle fait consensus, autrement dit : le fait divers. Du coup, même quand ce ne sont pas les faits divers qui occupent le maximum du temps d’antenne, toute l’information est traitée sur le mode du fait divers, guerres inclues. Et l’on présente comme une fatalité le choix de réduire les reportages à 1mn30 et la parole de chaque « client » des micro-trottoirs à 15 secondes...

 Cependant, certaines émissions se font tout de même l’écho des critiques des téléspectateurs (par exemple sur France 2 : l’Echo du médiateur) ?

Effectivement, ce type de programme prend en compte les critiques, mais c’est une médiation très aseptisée qui a pour fonction d’amortir la contestation ... pour que rien ne change vraiment. Le médiateur enregistre des erreurs ou des dérapages et, d’émission en émission, se succèdent des critiques finalement anecdotiques, qui tournent en rond tant que les contraintes générales qui pèsent sur la production de l’information restent à l’écart du débat. Au final, ils donnent seulement l’illusion de se soucier des protestations du public. Et rien ne change...

 Est-ce que tout cela tient à la personnalité du présentateur ?

Non, les présentateurs sont taillés sur mesure. Même ceux qui sur France 2 donnaient l’impression de déjouer le conformisme bonimenteur n’introduisaient que de très petites différences et étaient sélectionnés pour cela. Quant aux journalistes eux-mêmes, même ceux qui sont récalcitrants (et il en existe plus qu’on ne croit), ils ne parviennent qu’à glisser quelques grains de sable dans la machine - d’autres regards, d’autres façon de dire et de montrer -, mais ces différences sont dévorées par une ligne éditoriale soumise aux exigences commerciales de l’Audimat. De surcroît, les écoles préparent les jeunes journalistes pour qu’ils soient immédiatement « opérationnels », c’est-à-dire ajustés aux contraintes, prétendument techniques, mais réellement sociales, des formats existants. Enfin, la précarité de jeunes journalistes ne les incite guère à la rébellion spontanée, on entrevoit que la médiocrité de l’information a des origines diverses, mais convergentes. La conséquence de tout ce formatage est visible sur tous les autres programmes d’information, pas seulement sur le JT : on bride la créativité, les tentatives d’expérimentation, l’invention de nouvelles formes. Cela dit, à la marge, il existe des reportages bien faits et quelques documentaires qui valent la peine d’être vus.

Propos recueillis par Ariane Langlois
Politis, Jeudi 4 décembre 2004

 
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Notes

[1Titre de la rédaction de Poltis

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