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Dans L’Humanité : Faut-il avoir peur de la critique des médias ? (11 mai 2004)

par Henri Maler,

Une tribune publiée dans L’Humanité du 11 mai 2004.

Des médias concentrés et financiarisés de plus en plus dépendants de leurs actionnaires et des publicitaires. Des journalismes fragilisés, minés par les effets de la précarité, dépendants de la communication institutionnelle et mercantile. Des informations prostituées, assujetties à la concurrence, à l’audience commerciale et au mélange des genres qui noie l’information sous le divertissement.

Telles sont quelques-unes des tendances le plus lourdes et les plus menaçantes. Certes, elles ne s’imposent pas uniformément. Et elles ne renvoient pas à un improbable âge d’or où les médias auraient été délivrés de toute tutelle politique ou économique.

Mais à des formes nouvelles d’évolution des médias répondent des exigences plus vives des " usagers ". Avec ces conséquences : une crédibilité contestée qui met en cause simultanément les médias eux-mêmes, les journalistes et les informations ; et un discrédit partagé puisqu’il frappe conjointement l’espace médiatique et l’espace politique.

De cette conjonction et de ses causes (les effets multiples et ramifiés des nouvelles formes du capitalisme), la plupart des tenanciers des médias, plus ou moins dominés par leur domination, préfèrent ne rien savoir.

Mieux : patrons de presse et majestés éditoriales entendent se réserver le monopole de l’information sur l’information et récusent avec virulence toute critique qui n’aurait pas reçu leur aval. À cette fin, ils s’empressent d’accréditer des intellectuels pour médias et des chercheurs dont ils estiment qu’ils ne contestent pas leur pouvoir. Et, avec un aplomb considérable, ils présentent la défense souvent hargneuse de ce pouvoir - qui est d’abord un pouvoir d’intimidation - comme une défense de la liberté de la presse et de l’indépendance des journalistes.

Or cette indépendance, toujours menacée par les pouvoirs politiques et économiques, est d’autant plus compromise que l’autonomie collective des rédactions devient chaque jour plus faible et que les journalistes rebelles, les syndicats de journalistes et de salariés des médias sont maintenus dans une position subalterne, surtout s’ils s’avisent de contester l’ordre médiatique existant, auquel cas ils s’exposent à des formes de répression qui n’ont rien à envier à celles qui s’exercent dans les autres entreprises.

Une telle situation suffirait à justifier l’existence d’une critique des médias indépendante et intransigeante. Pourtant, force est d’admettre qu’une telle critique suscite bien des réticences ou des résistances, de la part de journalistes qui, même contestataires, redoutent toute forme d’" ingérence extérieure ", suspectée de menacer leur liberté, souvent imaginaire. Mais comment conforter et rendre publique la contestation interne, sans une critique indépendante ?

Reste l’argument décisif : la critique du journalisme et de l’information est une affaire trop sérieuse pour être confiée et destinée aux seuls journalistes.

Elle suppose que l’expérience et les connaissances des journalistes soient partagées avec d’autres savoirs. C’est ce que tentent de faire une association comme Acrimed, depuis 1996, et de façon plus large l’Observatoire français des médias.

La critique des médias intéresse tous ceux qui ne prennent pas leur parti de l’existence d’une démocratie mutilée par la société de marché et d’une information ajustée à elle. Le principal enjeu ? Remettre à l’ordre du jour, après des décennies de régressions et de renoncements, la question de l’appropriation démocratique des médias.

Henri Maler
Enseignant à l’Université Paris-VIII, et co-animateur de l’association Acrimed

 
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