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Septembre-décembre 2001 : A la guerre comme à la guerre (2)

Compassion figaresque, réalisme commercial et malaise stratégique

Les attentats du 11 septembre, puis la guerre en Afghanistan ont permis au Figaro de déployer des trésors de compassion pour les américains, puis pour les afghans, de chanter la louange des marchés et de succomber à quelques malaises [*].

Compassion et commerce du Figaro économique

Dans le Figaro économie (13/09, p. V), ce titre programmatique : " La libéralisation des échanges, réponse au terrorisme ".

Dans Le Figaro économie (13/09, p. XII), on peut lire ceci : " Les annonceurs et les publicitaires voient, dans cette affaire, l’occasion (sic) de repenser la stratégie des marques ". Et une article titré " La responsabilité au cœur des stratégies des marques ", dans lequel on apprend que certaines marques procèdent au " retrait transitoire des communications des secteurs directement concernés par l’événement ". (...)" Ainsi, Airbus suspend-il sa campagne mondiale, et pour cause, le spot figurait la traversée frénétique et foudroyante d’un building américain jusqu’à propulsion dans le ciel azuré. Où l’on pouvait lire : Travel in peace. ". No comment.

Mais les affaires continuent : " Dans un tel contexte, les marques doivent recentrer leur positionnement et leur territoire de communication ", précise, en langue de pub, l’auteure de l’article, Sonia Devillers. Qui cite Jacques Bouey, président de Proximity/BBDO : " le volet caritatif est déjà présent dans la plupart des opérations marketing, le mouvement est peut-être en passe de s’accélérer. Aujourd’hui, l’Occident se sent menacé, ce qui fait surgir des valeurs de solidarité. Celles-ci pourraient s’imprimer dans la démarche commerciale. ".

A relever également, cette autre déclaration, qui témoigne d’un prodigieux effort de lucidité :
« En s’attaquant à un tel symbole [Le World Trade Center], les terroristes rejoignent (sic) le discours des anti-mondialistes dont la parole est devenue omniprésente (re-sic) pour dénoncer la tyrannies consumériste. Cet acte rappelle à sa manière que l’oppression dont souffrent certains pays est aussi [sic, encore] de nature économique « (Jean-Christophe Alquier, directeur général de Harrison & Wolf Corporate).

L’article précédent, qui nous plaçait au coeur de la tragédie, n’était qu’un avant-goût du suivant, de la même journaliste - Sonia Devillers -, paru dans Le Figaro Economie du 15-16 septembre, p. XII, sous le titre programmatique suivant : "Les grandes causes, nouvelles priorités du marketing". On est rassuré : le mariage entre le commerce et la compassion n’a pas commencé avec les attentats.

Alors que les publicitaires, avec l’aide des journalistes en charge de la lourde responsabilité de nous faire partager leurs soucis, font l’éloge de leur "décence" après les attentats, Le Figaro (18-09) publie un supplément "Guides", sobrement intitulé ... "Le règne de l’accessoire".

Audimat et chiffres de vente records. Ce qui nous vaut ce titre du Figaro économie (13/09, p. XII) : " Les grands médias plébiscités ", et ce commentaire :

« Comme aux plus grandes heures de leur histoire, la presse et la télévision ont été largement plébiscités par le public (…) Ce qui, en dépit des critiques que l’on porte régulièrement sur les médias et leur prétendue mauvaise image, prouve que les Français leur accordent, dans des circonstances dramatiques, leur confiance ».

Compassion et malaise du Figaro stratégique

- Compassion au Figaro  : des réfugiés encombrants


Le Figaro ne cède pas à la panique compassionnelle et réserve ses larmes sur la détresse des réfugiés : elles ne commenceront à couler que lorsque leur nombre sera figaresquement consistant.

Il suffit pour s’en rendre compte de lire les premières lignes d’un article paru le samedi 20 octobre (p.4) : "Afflux de réfugiés au Pakistan" :
« Pour la première fois depuis le début des frappes américaine sur l’Afghanistan, un flot de régugiés important tente de fuir le pays. Jusqu’ici la déferlante redoutée par les organisations humanitaires ne s’était pas produite. Malgré la fermeture officielle par le Pakistan de sa frontière, seul un millier d’Afghans réussissaient quotidiennement à passer à travers les mailles du filet (...) ».

Passons sur le vocabulaire ("flot", "déferlante"). Laissons l’inquiétude abandonnée aux seules organisations humanitaires. Admirons l’absurdité de l’opposition entre la fermeture des frontières et le nombre réputé limité de réfugiés. Et constatons que Le Figaro analyse froidement la situation : 10 000 réfugiés en 5 jours, ce n’est qu’un début "important".

L’essentiel est dans ce que tout cela "accrédite", comme le dit l’auteur de l’article : " (...) les réfugiés ont fui dans la panique. Ce qui semble accréditer la confusion qui régnerait dans les rangs talibans (...)"

(Première publication : le 20 octobre 2001)



 Malaise au
Figaro  : Une guerre inefficace

Le Figaro, 5 novembre 2001 (p. 16). Editorial de Renaud Girard : "La cause et la méthode".

"Instinctivement, on ressent comme un malaise devant la forme qu’a prise l’intervention américaine en Afghanistan".

Malaise de pure forme, évidement, puisque non seulement la guerre est légitime, mais : "L’actuelle politique afghane de Washington est, de surcroît, dépourvue de la moindre arrière-pensée régionale, quoi qu’en disent les maniaques du complot".

Pas la moindre arrière-pensée régionale...

D’où vient alors le malaise ? De l’inefficacité des bombardements... Et, notre éditorialiste de s’interroger :
« N’aurait-il pas été plus efficace de recueillir d’abord le maximum de renseignements, de lancer ensuite des tribus patchounes à l’assaut de la légion arabe de Ben Laden, et, seulement, dans un troisième temps, d’effectuer les bombardements tactiques et les missions héliportées nécessités par l’appui au sol de leurs alliés locaux ».

Ah, l’heureux conseiller militaire qui lance des tribus patchounes à l’assaut...

Et de suggérer une erreur sur l’ennemi :
« Aujourd’hui, l’Amérique se retrouve enlisée dans une guerre générale, livrée à un régime certes médiéval mais qui n’a jamais préconisé sa révolution islamique ».

Avant de conclure :
« Bush, dira-t-on, devait donner des gages à son opinion publique. Mais la diplomatie régionale et le contre-terrorisme sont des matières trop sérieuses pour être soumises aux seules contraintes de la politique spectacle. »

Le Figaro lui-même était inquiet. :
« Pendant treize jours, on a pu croire que les Américains étaient, une fois de plus, en retard d’une guerre (...) Comme pour l’Irak et le Kosovo, le Pentagone n’avait rien trouvé de mieux que de bombarder, jour après jour (...)". Il est désormais rassuré : "Depuis hier, le monde est entré de plain-pied dans la première guerre du troisième millénaire". Puisque tout change avec "les opérations (...) conduites au sol par des commandos qui se donnent des objectifs précis. » ("La Logique de Bush", par Pierre Rousselin, Le Figaro, 20 octobre, p. 17)

(Première publication : le 6 novembre)

 
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Notes

[*Ces échantillons ont été prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du « Figaro en brèves » : la date de publication antérieure est indiquée à la fin de chacun d’entre eux

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