Accueil > Critiques > (...) > 2015 - Attentats à Paris et ses suites

Attentats de Bruxelles : le bal des « experts » de l’expertise

par Denis Souchon, Olivier Poche,

Dès l’annonce des attentats de Bruxelles, une nuée d’« experts » s’est abattue sur les radios, télés et les sites des grands médias, à l’appel de ces derniers, selon un protocole désormais bien rôdé dans ce type de circonstances. Attentats, catastrophes, interventions militaires « en direct » : la nécessité, devenue une évidence qu’on ne songe même plus à interroger, de « faire vivre » l’événement, impose une focalisation exclusive, immédiate et durable, sur ce dernier, en lui consacrant un espace médiatique démesuré et qui contraste cruellement avec la quantité extrêmement faible d’informations fiables alors disponibles. Pour « résoudre » ce paradoxe, les médias se tournent naturellement – et massivement – vers des « experts » – leurs « experts », souvent consacrés comme tels par leur seule présence médiatique.

Pour la seule journée du 22 mars 2016, nous avons pu dénombrer au moins 56 interventions de 27 d’entre eux [1], à même d’exercer leur fonction : remplir le vide laissé par l’absence d’informations et l’impossibilité de proposer une analyse informée de la situation, tout en fournissant l’illusion d’une compréhension des événements – l’étiquette d’« expert » étant censée transformer des propos que l’on pourrait tout aussi bien entendre au comptoir d’un bar en commentaire avisé et « autorisé ». Panorama d’un phénomène médiatique nouveau au moins par son ampleur – et qui a déjà suscité des réactions et des analyses ici ou .

Une « experte », 26 « experts »

Un constat s’impose d’emblée : sur les 27 « experts » recensés, il n’y a qu’une femme. Il semblerait que l’« expertise », en matière de terrorisme et d’attentats comme en tant d’autres, soit la chasse gardée des hommes, et cela avec l’assentiment des médias invitants. Mais nul doute que le CSA va intervenir…

Cette « experte » s’appelle Céline Berthon et on a pu la voir à 17h45 dans « C dans l’air » sur France 5, dont le site la présente comme « Secrétaire générale du Syndicat des commissaires de police », puis à partir de 19h45 dans « Europe 1 soir ». Céline Berthon ne disposant pas (encore ?) d’un carnet d’adresses très fourni, on obtient donc 2 interventions sur 56, soit une part spectaculaire de 3,6 %.


Louis Caprioli et Pierre Servent, la grande vadrouille médiatique continue

À l’occasion des attentats du 13 novembre 2015, ces deux « experts » avaient fait 35 apparitions dans les médias en 5 jours. Il n’est donc pas surprenant qu’ils répondent « présent ! » en ce 22 mars – avec des révélations souvent fracassantes.

– à 10h44, RMC met en ligne un extrait d’une interview du « colonel » Pierre Servent qui nous apprend notamment que « Bruxelles, c’est une ville internationale ».

– Dans « Europe midi » sur Europe 1, le « spécialiste des questions de défense » Pierre Servent considère que « Daech, comme Al-Qaida auparavant, sait très bien jouer des opportunités ».

– à 18h25, Challenges met en ligne un article dans lesquels sont rapportés des propos de Louis Caprioli, « ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST) », estimant notamment que « ces attaques montrent […] que l’organisation n’est pas affaiblie par les arrestations ».

– à 18h48, Metronews met en ligne une interview de Louis Caprioli, « ancien chef de la lutte antiterroriste », dans laquelle il déclare que les attentats de Bruxelles sont « une preuve de leur capacité [des djihadistes] de résilience et de leur capacité à engager des actions terroristes. »

– Louis Caprioli est enfin interviewé dans le « 28 minutes » d’Arte qui débute à 20h05. « Il y a une organisation qui a préparé », tranche-t-il.


Le bal des « anciens »

Pour la plupart des médias, rien de tel que d’inviter des « anciens de » – et en l’espèce, majoritairement des anciens « superflics » –, dont l’expérience, parfois très « ancienne » ou sans grand rapport avec l’événement en cours, est censée garantir l’intérêt de leurs « analyses », mais qui ne les empêche pas de tenir des propos qui ne sont pas sans rappeler, parfois, les perles des anciens footballeurs reconvertis en commentateurs sportifs.

– sur Itélé, Audrey Pulvar reçoit l’« ancien juge spécialisé dans la lutte antiterroriste » Jean-Louis Bruguière.

– sur France 2, dans le JT de 13h, Élise Lucet reçoit l’« ancien négociateur du Raid » Christophe Caupenne.

– dans « Carrément Brunet » sur RMC, Éric Brunet reçoit Daniel Cerdan, « ancien du GIGN ».

– dans « le 18/20 » de France Inter, Nicolas Demorand reçoit Frédéric Gallois, « ancien patron du GIGN ».

– dans le journal de 13h de France Inter, Claire Servajean reçoit Jean-Pierre Pochon, « ancien des RG, de la DST, de la DGSE, spécialiste du renseignement, professeur à Sciences-po ». Triple « ancienneté » malgré laquelle on est parfois un peu à sec : « Tout a été dit dans ce que, les différents intervenants, je n’ai pas grand-chose à rajouter. »

– Et, comme au football, l’expertise médiatique a aussi à ses anciens internationaux : à partir de 19h45, dans Europe 1 soir, Nicolas Poincaré reçoit Jean-Paul Roullier, un « ancien des renseignements suisses ». Le même est interrogé sur le site du Temps, où il est formel : « La nature même des attentats, la simplicité de leur planification, démontre clairement qu’on ne peut pas tout contrôler. » Parole d’« expert ».


Les « criminologues », « spécialistes »… et autres hommes de Science

Les journalistes des médias dominants sont friands des individus qui arborent des signes extérieurs de scientificité – sans chercher à « expertiser » ces titres ronflants. Quelques exemples.

– L’incontournable, forcément incontournable, Alain Bauer intervient en tant que « professeur de criminologie » le matin sur RTL ; en tant que « criminologue » le midi sur Europe 1 ; et en tant que « spécialiste des questions de sécurité » à 19h, dans « C à vous » sur France 5.

– Le « président du Centre d’analyse du terrorisme » Jean-Charles Brisard intervient dans le journal de 13h de France 2 ; et dans un article mis en ligne par 20 minutes. Sur le site suisse de 24 heures, il est interrogé en tant que « spécialiste des questions de sécurité », et tient ces propos incontestables : « Chaque attentat démontre l’étendue des failles sécuritaires dans lesquels les terroristes ont réussi à se glisser, pour s’implanter et circuler en Europe. »

On fera une place particulière à Claude Moniquet, lui aussi un « ancien », et plus précisément de la DGSE, « consultant spécialiste des questions de renseignement sur Itélé » :
– il est interviewé à 13h42 sur RTL (Belgique) en tant que « spécialiste en contre-terrorisme »
– puis dans L’Express en tant qu’« expert en terrorisme »
– puis dans 20 minutes en tant qu’« expert en contre-terrorisme et co-fondateur du Centre européen pour le renseignement stratégique et la sécurité (ESISC) basé à Bruxelles »
– et enfin dans « Le 19/20 » de France 3 en tant qu’« expert en terrorisme »

Concernant cet « expert » qui semble issu d’une bande dessinée (belge ?) nous renvoyons à ce qu’écrit Samuel Gontier sur son blog : « Résidant à Bruxelles, [Claude Moniquet] est aussi l’expert en contre-terrorisme de la principale chaîne privée belge, RTL-TVI. Et ça tombe bien. Car les Belges sont moins complaisants que nous avec les experts autoproclamés. Des humoristes locaux l’ont judicieusement rebaptisé “expert en contre-terrorisme et fournisseur officiel de contre-avis sur tout et son contraire”, raison pour laquelle “il se contredit et c’est pour ça qu’on le contre-paie”. […] les confrères de la RTBF ont mis en ligne un petit montage révélant l’aplomb avec lequel il se contredit à trois jours d’intervalle : il prétend d’abord que Salah Abdeslam se cache aux Pays-Bas ou en Allemagne avant de certifier le jour de son arrestation qu’il se doutait de sa présence à Bruxelles… Les Belges ont beau être laxistes, ils sont meilleurs que nous en contre-expertise du contre-terrorisme. »

Thibault de Montbrial est quant à lui interviewé
– dans 20 minutes, où il est présenté comme « Président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et avocat » (interview mise en ligne à 15h12)
– dans la matinée sur Europe 1 en tant que qu’« avocat et directeur général du Centre d’analyses du terrorisme » [2].

François Heisbourg, présenté chaque fois comme « Conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique », publie un article dès 13h09, sur Huffingtonpost.fr. Sans doute pour saluer cet exploit, il est invité dans le 18/20 de France Inter, et sur Itélé.

Défileront également : un « spécialiste des relations internationales et du terrorisme » (Gérard Chaliand), sur le site des Inrockuptibles, un « psychologue », Cyril Cosar, interviewé dans Europe 1 soir, un « docteur en criminologie de l’Université de Liège » (sur Arte, puis dans Europe 1 soir), un « maître de conférences en violence politique et études de sécurité à l’Université de Manchester » et un «  enseignant chercheur au centre de recherche et d’enseignement en politique internationale de l’université libre de Bruxelles » (dans Challenges), le « politologue » Frédéric Encel, qui donnera son avis dans le journal de 12h30 de France Culture, ainsi que le « président de l’Observatoire international du terrorisme », Roland Jacquard, qui s’exprimera le matin sur RTL, dans une interview au titre renversant :




… et le soir sur France 5 dans « C dans l’air ». À chaque fois l’animateur s’appelle Yves Calvi.

À 18h18, Le Huffington Post met en ligne un article du « docteur en droit et expert en analyse de risques et gestion de crise auprès du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et du Haut Comité Français de Défense Civile » Michel Nesterenko, titré « Nous devons apprendre à vivre avec les attentats, comme en Israël ». Le « criminologue » Xavier Raufer est l’un des invités d’Éric Brunet dans « Carrément Brunet » sur RMC. Alain Rodier est interviewé sur TV5 Monde, avec le bandeau « Centre français de recherche sur le renseignement », dans le journal de 12h30 de France Culture, dont le site le présente comme « directeur de recherche chargé du terrorisme et de la criminalité organisée, au sein du Centre français de recherche sur le Renseignement » et enfin sur Ici Radio Canada, comme « spécialiste du terrorisme ».

Enfin, notons que Marianne, cherchant visiblement à diversifier ses sources, a fait un choix original en consultant Patrick Roegiers, « un écrivain et homme de théâtre belge, auteur de plusieurs ouvrages sur la Belgique, qui vit en France depuis 34 ans ».


Deux « experts » ayant le don d’ubiquité médiatique

Dans toute cette population d’« experts » ayant occupé une part non négligeable de l’immense espace médiatique offert, en ce mardi 22 mars, à la non-information sur un événement en cours, nous en retiendrons deux en particulier, l’un pour avoir esquissé un début d’auto-critique, sans grande conséquence, mais assez rare pour être saluée. L’autre, à titre d’exemple exemplaire de l’expertise médiatique, ni vraie ni fausse, sans trace d’expertise décelable, mais répétée partout à un rythme effréné. Tous deux comptant (au moins) 6 interventions en moins de 12 heures.

Mathieu Guidère est le premier. Il possède un sens très sûr du placement médiatique.

– Interviewé dans le JT de 13h de France 2, il commence par affirmer que « les djihadistes ne vont pas frapper chez eux, là où ils sont ». Voilà une expertise ! « Chez eux » ? Où est-ce ? « Pas chez nous » ? Pourtant, il y a beaucoup d’attentats « djihadistes » « pas chez nous ». Et d’autre part, pour commettre un attentat, il faut bien « être là » où il a lieu… Vite un expert pour expertiser tout cela !

– Dans la matinée, Le Figaro met en ligne une interview de Mathieu Guidère. À propos de l’arrestation de Salah Abdeslam, il déclare : « Ce qui est certain, c’est que les responsables politiques, belges comme français, en ont trop fait. Tout comme les médias. » Vise-t-il aussi les « experts » qui accourent dans les médias à la moindre sollicitation ?

– Quelques heures plus tard, Challenges met en ligne une (autre) interview de Mathieu Guidère. À propos de la police et du gouvernement belge, il enfonce le clou : « Il n’est jamais bon de communiquer à tout va, le terrorisme est aussi le fruit de la médiatisation. »

– À 19h, il est dans « C à vous »

– Il fait également une brève apparition dans le 19/20 sur France 3, manifestement filmé dans les couloirs de France Télévisions, peut-être en sortant du 13h de France 2.

– Enfin, Mathieu Guidère termine sa rude journée de travail par le « 28 minutes » d’Arte qui débute à 20h05 avec cet étonnant échange :
- Mathieu Guidère : « J’aimerai vraiment dire qu’il faut arrêter la médiatisation. »
- Elisabeth Quin : « C’est ce que l’on fait là, on ne devrait pas… »
- Mathieu Guidère : « Oui, on ne devrait pas et d’ailleurs vous ne devriez pas nous inviter, moi je vous le dit sincèrement parce que c’est la logique, le terrorisme médiatique, il est médiatique, il n’existe que par cela. Or on est vraiment en train de le servir. »

Saine prise de conscience… Avec quelles conséquences ?

Notons au passage qu’au fil de ses interventions, Mathieu Guidère est présenté comme :
« islamologue et spécialiste du monde arabe et musulman » par Le Figaro.
« spécialiste des mouvements islamistes radicaux » par France 2.
« spécialiste de l’islam radical et professeur à l’université de Toulouse II » par Challenges.
« Professeur d’islamologie à l’Université de Toulouse II » par le site de « C à vous »
« spécialiste du terrorisme » par France 3.
« islamologue, spécialiste du terrorisme » par Arte.

De quoi M. Guidère est-il exactement spécialiste ? Difficile à dire. En revanche, ses titres fluctuants selon les médias entretiennent une inquiétante confusion entre « islam », « islamiste », « arabe », « musulman », « terrorisme »…

Mohamed Sifaoui est quant à lui le Lucky Luke de l’intervention médiatique. Il apparaît à la fois :

– au téléphone, dans le 7/9.30 d’Yves Calvi sur RTL, où il est présenté comme « spécialiste des réseaux terroristes en France et en Europe » et comme « spécialiste des réseaux terroristes et islamistes ».

– à peu près au même moment, « le journaliste, écrivain, réalisateur » Mohamed Sifaoui est présent dans les studios de RMC, intervention qui aura les honneurs de « L’immanquable grandes gueules » – sorte de « best of » de l’émission.

– À 12h30, il est de nouveau sur RTL.

– À 13h, il est sur Europe 1, en tant que « journaliste et spécialiste du terrorisme islamiste ».

– À partir de 17h45, le « journaliste, écrivain et réalisateur » (dixit le site de l’émission) retrouve Yves Calvi dans « C dans l’air » sur France 5

– Entre-temps le « journaliste spécialiste du terrorisme islamique » est allé faire quelques gammes sur BFM TV.

Pour mesurer l’étendue des dégâts, il vaut la peine de s’arrêter sur une intervention de l’ « expert » – piochée sans raison particulière parmi celles que l’on vient de relever. On en trouvera une transcription quasi intégrale en annexe. Mais en s’en tenant au début de cette intervention à bâtons rompus, qui présente non pas une analyse mais une suite d’hypothèses, envisageant plusieurs cas de figure non compatibles entre eux, ce qui lui permet de jouer à l’astrologue inspiré, mais sans que personne ne semble s’en soucier. Au moment où il est interrogé, vers 9h10, soit à peine plus d’une heure après les deux explosions à l’aéroport, on ne sait même pas s’il s’agit bien d’un attentat. Personne n’est en mesure de délivrer des informations sûres, à part peut-être quelques individus qui ont bien d’autres choses à faire. D’ailleurs, Yves Calvi se borne à lui demander d’abord sa « réaction » face à ce qui n’est encore qu’une « double explosion » :

Malheureusement, sans surprise, si l’attentat, enfin l’opération terroriste se confirme […] parce que d’abord, contrairement à ce qu’on a pu croire, le réseau du 13 novembre n’a pas été totalement démantelé. […] Najim Laachraoui, dont l’ADN a été retrouvé notamment sur l’une des ceintures explosives a joué très probablement le rôle de l’artificier. Alors on sait que ce n’est pas l’artificier qui va commettre des attentats suicide. L’artificier reste en retrait pour justement pouvoir pourvoir du matériel et des bombes à ceux qui vont soit déposer des colis piégés, soit mettre des ceintures explosives. On a l’impression, je le dis sous toute réserve évidemment, on a l’impression que c’est plutôt un attentat au colis piégé et non pas un attentat kamikaze, mais on va voir plus clair dans quelques heures. Mais quoi qu’il en soit aujourd’hui sans lancer une panique générale, il y a quand même quelque chose auquel il faut faire très attention, c’est la simultanéité des attentats, c’est-à-dire il n’est pas totalement écarté, si le potentiel de Daech le permet, que l’organisation terroriste essaiera de commettre plusieurs attentats de façon quasi simultanée ou tout au long de la journée, comme il le font régulièrement de toute manière dans ce genre de situations. Alors s’il n’y a pas de simultanéité d’attentats et s’il n’y a pas plusieurs attentats tout au long de la journée ou dans les jours qui viennent, ça veut dire que la capacité opérationnelle est quand même assez limitée. […] Il faut encore le répéter, l’enquête liée aux attentats du 13 novembre n’est pas finie, ce qui se passe aujourd’hui à Bruxelles est probablement une onde de choc, le résultat de l’arrestation d’Abdeslam […] c’est-à-dire que les terroristes se sentent quand même acculés, parce que les forces de sécurité belges ont déployé une énorme énergie tout au long de ces dernières semaines pour essayer d’étouffer l’ensemble du réseau.

Faites vos jeux, rien ne va plus… et résultat mitigé pour l’ « expert » : si la double explosion s’avère un attentat terroriste, c’est bien un « attentat kamikaze » et non un « colis piégé », commis par Najim Laachraoui, l’artificier censé pourtant « rester en retrait ». Un autre attentat ayant eu lieu dans le métro bruxellois au moment où Sifaoui s’exprimait sur RTL, mais pas « tout au long de la journée ou dans les jours qui viennent », que cela nous apprend-il sur « la capacité opérationnelle » de Daech ? Pas grand-chose, comme l’ensemble de cette intervention, enchaînant les prévisions ratées, mais qui ne devrait pas entacher la réputation médiatique de l’« expert » Sifaoui.


***



Peut-être se demandera-t-on s’il faut vraiment s’indigner de cette invasion d’ « experts » qui ne servent à rien, n’ont rien à dire, et dont tout le monde commence à rigoler. Oui, car ils sont pires que rien. Pour certains, par exemple consultants en sécurité dans le secteur privé, ce discours anxiogène répété à l’envi sert directement leurs intérêts tout matériels. Mais le profil militaire ou policier – ou la variante (pseudo-)académique de « criminologue » –, ultra-dominant, est aussi problématique, car il propose et encourage une approche purement sécuritaire du terrorisme. Vu la nullité de leurs informations et l’uniformité de leurs « analyses », on ne courrait pourtant pas grand-risque à varier et élargir les points de vue. Or on ne peut que constater l’absence de sociologues, d’historiens, de géographes, et même de géopoliticiens… Mais certes, il faudrait en trouver, et c’est le serpent qui se mord la queue : des « experts » sérieux ayant quelque chose à dire en temps réel sur l’événement, il n’y en a pas. Les « experts » sérieux ayant quelque chose à dire sur des problématiques un peu plus générales ne viennent pas, en tout cas pas à ce moment-là. Et une fois l’événement passé, quel média dominant est prêt à inviter, pour lui offrir des conditions d’expression adéquates, un « expert » qui n’aurait pas fait la preuve de sa bonne volonté en répondant favorablement aux sollicitations médiatiques quelques minutes après une double explosion dans un aéroport ?



Olivier Poche et Denis Souchon



Annexe : Intervention de Mohamed Sifaoui le 22 mars 2016 sur RTL Matin

- Yves Calvi : « Comment réagissez-vous ce matin à cette double explosion à l’aéroport international ? »

- Mohamed Sifaoui : « Malheureusement, sans surprise, si l’attentat, enfin l’opération terroriste se confirme […] parce que d’abord, contrairement à ce qu’on a pu croire, le réseau du 13 novembre n’a pas été totalement démantelé. L’un de vos journalistes parlait tout à l’heure, notamment de Najim Laachraoui, complice à al fois de Sala Abdeslam et de tous ceux qui ont gravité autour du réseau du 13 novembre, est faut-il le rappeler quelqu’un qui a été formé en Syrie, quelqu’un qui a l’évidence a joué un rôle d’artificier et ce n’est pas par hasard, en tout cas l’enquête le démontrera probablement, que c’est plutôt l’utilisation de bombe artisanale qui est aujourd’hui préconisée

- Relance d’Yves Calvi : « Il est un artificier avéré et capable de déposer un engin de ce type ? »

- Monhamed Sifaoui : « Il ne fait plus aucun doute, et tous les enquêteurs avec qui j’ai discuté […], l’information se précise de plus en plus, Najim Laachraoui, dont l’ADN a été retrouvé notamment sur l’une des ceintures explosives a joué très probablement le rôle de l’artificier. Alors on sait que ce n’est pas l’artificier qui va commettre des attentats suicide. L’artificier reste en retrait pour justement pouvoir pourvoir du matériel et des bombes à ceux qui vont soit déposer des colis piégés, soit mettre des ceintures explosives. On a l’impression, je le dis sous toute réserve évidemment, on a l’impression que c’est plutôt un attentat au colis piégé et non pas un attentat kamikaze, mais on va voir plus clair dans quelques heures. Mais quoi qu’il en soit aujourd’hui sans lancer une panique générale, il y a quand même quelque chose auquel il faut faire très attention, c’est la simultanéité des attentats, c’est-à-dire il n’est pas totalement écarté, si le potentiel de Daech le permet, que l’organisation terroriste essaiera de commettre plusieurs attentats de façon quasi simultanée ou tout au long de la journée, comme il le font régulièrement de toute manière dans ce genre de situations. Alors s’il n’y a pas de simultanéité d’attentats et s’il n’y a pas plusieurs attentats tout au long de la journée ou dans les jours qui viennent, ça veut dire que la capacité opérationnelle est quand même assez limitée. Ensuite il y a aussi autre chose […] il y a aussi un certain nombre d’individus qui ont joué un rôle logistique très important, notamment en ce qui concerne la fabrication de faux documents, je pense notamment aux frères El Bakraoui […] qui sont à l’origine quasiment de tous les faux papiers retrouvés chez tous les terroristes liés de près ou de loin aux attentats du 13 novembre. Il faut encore le répéter, l’enquête liée aux attentats du 13 novembre n’est pas finie, ce qui se passe aujourd’hui à Bruxelles est probablement une onde de choc, le résultat de l’arrestation d’Abdeslam […] c’est-à-dire que les terroristes se sentent quand même acculés, parce que les forces de sécurité belges ont déployé une énorme énergie tout au long de ces dernières semaines pour essayer d’étouffer l’ensemble du réseau. […] Alors petite indiscrétion que j’ai recueilli hier, aujourd’hui encore, de nouvelles interpellations étaient prévues, alors je ne sais pas si ces interpellations ont eu lieu, ou si elles ont abouti, mais en tout cas les enquêteurs avec qui j’ai discuté hier encore, hier soir très tard, me disaient au téléphone qu’ils avaient tiré un fil très intéressant avec l’arrestation d’Abdeslam, c’est-à-dire de nouveaux indices, de nouvelles preuves matérielles, qui leur permettaient d’explorer de nouveaux chantiers d’enquête, les mêmes chantiers d’enquête qui les emmenaient vers de nouvelles directions. Donc voilà ! C’est un énorme chantier, et sur lequel il faudra mobiliser l’ensemble des polices et de services de renseignement européens, parce que encore une fois faut-il le rappeler c’est un réseau belgo-français d’une part, c’est un réseau qui est certes concentré à Bruxelles aujourd’hui mais qui a des ramifications dans plusieurs pays européens. »

- Yves Calvi : « L’analyse et les toutes dernières informations de Mohamed Sifaoui, spécialiste des réseaux terroristes et islamistes ».

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité, bien qu’en essayant d’y tendre : nous n’avons pas la même puissance d’analyse que les « experts » médiatiques...

[2Il n’y a pas de « directeur général » sur le site du CAT, mais un président, Jean-Charles Brisard, déjà cité. Mais selon Wikipedia, Montbrial est l’un des fondateurs du CAT, et du reste il ne réagit pas à l’annonce de Morandini. En tout état de cause, c’est un tout petit monde…

A la une