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Arte diffuse un documentaire « non réalisé »

« Bons baisers des tropiques », documentaire en cinq épisodes qui relate les aventures de touristes à la Réunion, a été diffusé sur Arte entre le 11 et le 15 avril 2005, sans le nom de son auteur : Bernard Queysanne. En voici les raisons, suivies d’un communiqué d’associations de documentaristes et de réalisateurs de films de fiction. (Acrimed)

Sans nom d’auteur : pourquoi ?

« Bernard Queysanne a refusé de signer son film, qu’il ne reconnaît pas » : sous ce titre un article de Sylvie Kerviel, paru dans Monde daté du 13 avril 2005, explique pourquoi le documentaire « Bons baisers des tropiques », diffusé sur Arte entre le 11 et le 15 avril 2005, ne comporte pas au générique le nom de son auteur, remplacé par un « blanc ».

La chaîne a voulu imposer à Bernard Queysanne un commentaire en « voix off », « écrit à la première personne, "par un jeune stagiaire", selon Bernard Queysanne, dans un style familier et "truffé d’erreurs". ». Et Le Monde de préciser : « Dans son magazine hebdomadaire, la chaîne indique laconiquement : "Suite à un désaccord avec les coproducteurs sur l’existence d’un commentaire, le réalisateur n’a pas souhaité signer son film.".

Bernard Queysanne, par son refus, a, dit-il, voulu protester, contre une atteinte manifeste au droit d’auteur, d’autant plus significative qu’elle vient d’une chaîne qui se présente comme « culturelle.

Selon Le Monde : « S’il a exigé qu’un "blanc" soit affiché à la place de son nom, c’est pour stigmatiser une pratique "très répandue" selon lui, mais contre laquelle les auteurs hésitent à batailler, par peur de voir leur film enterré ou de compromettre leur carrière.  »

Une protestation totalement justifiée [1].

Un communiqué d’associations de réalisateurs

Nous, réalisateurs de films documentaires et de fiction pour la télévision, tenons à manifester notre indignation devant l’attitude d’Arte qui a programmé du 11 au 15 Avril 2005, à 20h15, un feuilleton documentaire « non réalisé ».

En effet au générique du film, sous le carton indiquant « un film de » n’apparaissait qu’un blanc.

Ce film a pourtant été écrit et réalisé par Bernard Queysanne qui a refusé que son nom apparaisse au générique après avoir été contraint d’accepter le rajout d’un commentaire, sous la forte pression des responsables de l’unité documentaire d’Arte, relayée par le producteur du film. Sous prétexte de « rendre le programme plus audible » (sic), ce commentaire anonyme à la première personne, dénature fondamentalement l’oeuvre de Bernard Queysanne, transformant une « comédie documentaire » en faux journal à la première personne.

Nous considérons qu’une telle attitude, de la part d’un diffuseur, est une atteinte au droit moral des auteurs et au respect de l’oeuvre.

Nous déplorons qu’une chaîne publique, à vocation culturelle et libre de publicité, dénie à ce point l’existence du réalisateur d’une oeuvre audiovisuelle et la réalité de son travail.

Nous nous inquiétons de la dérive, malheureusement ordinaire et trop rarement dénoncée, des responsables de programmes qui s’autorisent à intervenir de manière autoritaire et arbitraire sur toutes les étapes du processus de création.

Nous refusons ce « formatage » des oeuvres que les chaînes cherchent, par-delà les auteurs, à imposer au public. Autant en documentaire qu’en fiction, les choix artistiques sont, et doivent rester la responsabilité des seuls auteurs.

Nous soutenons tous les réalisateurs confrontés à ce genre de pratiques qui, si l’on n’y prend pas garde, aboutiront à la disparition même de la notion d’¦uvre à la télévision pour laisser la place à une mono forme standardisée et à la disparition de tout regard singulier d’auteur.

20 avril 2005

- ADDOC, Association des Cinéastes Documentaristes
- CARDO, Collectif des Auteurs-Réalisateurs pour la Défense des Œuvres
- GROUPE 24 JUILLET - SRF, Société des Réalisateurs de Films
- GROUPE 25 IMAGES, Association de Réalisateurs de Films de Télévision
- SFR-CGT, Syndicat Français des Réalisateurs

 
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Notes

[1Dans ces conditions, il est pour le moins étonnant que la journaliste du Monde croit nécessaire de préciser : « Nous n’avons pas pu juger de la qualité de cette version commentée, Arte ayant refusé d’en envoyer une copie à la presse. » Comme si cette « qualité » aurait pu changer quoi que ce soit. Et qu’après avoir la cité directrice adjointe de l’unité documentaires d’Arte qui « estime que le commentaire vise à rendre le film "plus explicite pour le public".  », Sylvie Kerviel se borne à conclure : « A lui de juger. »

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