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Journalisme et politique

" Arrêt sur images " ? Circulez, y a rien à voir

par Jacques-Olivier Teyssier,

Le livre de Daniel Carton Bien entendu...c’est off soulève quelques questions qui méritent examen. En l’absence de l’auteur, l’émission " Arrêt sur images " a permis de les éluder avec maestria.

"Arrêt sur images", France 5, 2 février 2003. A défaut d’enregistrement, je visionne l’émission sur internet et je n’ai pas tout perdu : 1h10 au lieu des 52 mn de diffusion à la télé. Enfin, je vais pouvoir me faire ma propre opinion sur Daniel Schneidermann (DS) et son émission puisque le sujet est en or. Le titre annonce la couleur : " Journalistes : pourquoi ils sont cachottiers ". Notez la forme affirmative qui nous convainc d’avance que nous allons avoir des réponses.
Oubliés donc les échanges " diplomatiques " [1] avec Pierre Bourdieu, oublié " Enfin pris " de Pierre Carles [2]. C’est sûr, ces gens là ont du exagérer, devaient avoir un compte personnel à régler avec DS, sont aigris, jaloux...

Enfin on va tout savoir !

Et ça part bien ! DS lance l’émission : " Pourquoi sur des informations qu’ils possèdent, les journalistes n’en livrent pas toujours toute la vérité quand bien même ces infos pourraient intéresser le publique ? " Enfin on va tout savoir !

Après un court sujet sur la vie privée de l’incontournable Sarko, DS persiste :
" Les journalistes politiques disent-ils tout ce qu’ils savent ou en cachent-ils une partie ? " et présente les invités :

 Jean-Michel Apathie : journaliste politique à France Inter après être passé dans plusieurs journaux dont Libération et Le Monde.

 Arlette Chabot : Animatrice et productrice de " Mots croisés " sur France 2.

 Pascale Sauvage : journaliste au Figaro après être passée au Monde.

La télé, la radio et la presse écrite. Tout y est, c’est parfait.

" Bien entendu... c’est off "

Après quelques détours, on rentre dans le vif du sujet : le livre de Daniel Carton Bien entendu... c’est off. [3] Et là, on ne sait pas trop ce que DS sous-entend quand il nous dit que c’est " bizarre " mais que Daniel Carton a plus été interrogé sur ce que lui même avait omis dans son livre que sur ses révélations. Une phrase de Daniel Carton prononcée dans un extrait d’une émission de LCI retient mon attention : " Ca vous prouve une chose, c’est que c’est vachement difficile de dire la vérité dans ce pays ". Evidemment on ne s’attardera pas dessus, DS préférant en rajouter : " Jeu de devinette un peu étrange s’agissant d’un livre qui était censé révéler ce que les journalistes politiques ne disent jamais ".

Le " Mazarin " présumé de Giscard

Puis on passe tout de même au livre lui même. Au message principal, c’est à dire tout ce qui ne va pas dans le journalisme politique ? Pensez-vous ! On va en faire des tonnes sur des babioles (ou presque) pour éviter les vrais sujets.

Et on commence par le " Mazarin " présumé de Giscard et de la candidature de Christine de Veyrac au Parlement européen [4], qui occupe quand même, hou la, au moins... une page dans le livre de D. Carton (p 192-193). On aura presque perdu son temps, sauf peut-être lors de ce petit moment :

David Abiker (DA, collaborateur de DS) indique que c’est la tradition de l’émission que d’illustrer les propos avec des photos, qu’il y a eu Giscard, Mazarine... mais pas Christine de Veyrac.
DS (un peu pris de court ?) : " Christine de Veyrac n’est jamais passée à la télé. En général, on met des images de télé. Le seul organe de presse où il y a une photo de C. de Veyrac, c’est le site internet du nouvel obs. "
DA : " Je me demande si on n’aurait pas intériorisé une certaine forme de réserve par rapport à ça. "
DS : " Très bonne question."
Très bonne réponse !
Comme l’ont suggéré plusieurs participants à l’émission, la photo est tout bêtement sur le site du Parlement européen (on trouve après environ 30 secondes de recherche)...

Et n’oublions pas que D. Carton ne parle pas que de Giscard dans son chapitre " Vie privée, vie publique " : il évoque Le Pen (p.186, 187, 188), Carignon (p. 191), Dumas (p. 191, 192)). Il va même jusqu’à à évoquer l’affaire Dutroux (" Dormez tranquilles, braves gens. Rien à signaler sur ce front-là " (p. 194)).

Oubliés les journalistes

Bon ! Après ces amuses bouches, même un peu longues, on se dit qu’on va enfin rentrer dans le vif du sujet surtout quand DS dit : " il y aussi du off politique. "

Las ! Le départ de Jospin, les règlements de compte entre politiques... Voilà de quoi on va nous parler jusqu’à la fin du sujet. Et tous les participants vont se limiter à chercher à comprendre pourquoi les hommes politiques ne disent pas tout, pourquoi ce " off " existe. Oubliés les journalistes. En gros si vous êtes mal informés, braves gens, c’est la faute des politiques mais pas des journalistes. Et DS de conclure : " Merci à tous les trois pour cet arrêt sur des images politiques françaises et ce décryptage des mœurs politiques françaises ".

Allez pour le plaisir, je vous remets l’intro du même DS : " Pourquoi sur des informations qu’ils possèdent, les journalistes n’en livrent pas toujours toute la vérité quand bien même ces infos pourraient intéresser le publique ? ". " Bizarre ", comme disait DS en début d’émission, entre l’intro et la conclusion, les journalistes ont disparu !

Mais alors de quoi ils auraient pu parler ?

Déjà, on ne nous a pas dit pourquoi D. Carton n’était pas sur le plateau.

On aurait pu parler du Monde, et de la recomandation du Général de Gaulle à son fondateur Hubert Beuve Méry : " Je veux que ce journal soit un instrument de la conscience nationale ". Oui mais Le Monde c’est hors sujet à Arrêt sur images vu que c’est la presse écrite. On pourrait objecter à cela que Jean-Marie Colombani ne se prive pas d’apparaître copieusement à la télé. Mais soit.

On aurait pu parler de la " grande paresse de la presse " qui fait que chacun copie sur l’autre " car les Français ne se trompent pas lorsqu’ils ont l’impression de lire partout et d’entendre sur toutes les ondes les mêmes infos " (p. 77).

On aurait pu parler des " combines et dépendances " juste évoquées au début de l’émission, combines et dépendances illustrées par exemple par le fait que " le guichet chiraquien était toujours libre pour vous loger dans les meilleurs quartiers de la capitale aux prix les plus modérés. Avec en annexe une carte de presse, votre dossier devenait d’office prioritaire " (p 130).

Et puis surtout on aurait peut-être pu parler de " la folie de la télé " (12 pages, tout de même), " celle d’aujourd’hui déborde de chaînes mais elle est devenue le maillon faible de notre démocratie " (p 179). On aurait pu illustrer ce passage : " avant, m’expliquait Sakorzy, on faisait et après on faisait savoir. Maintenant il faut faire savoir et on voit si on peut faire " (p 171) parce que, pour le coup, des images pour illustrer cette citation, elles ne doivent pas être trop difficiles à trouver aujourd’hui !

On aurait pu mais vous savez ce que c’est la télé, le temps est compté, il faut enchaîner... On a parlé " de choses beaucoup plus futiles ", comme disait déjà DS à Jean-Marie Messier lors des dernières mises au point avant l’enregistrement d’un autre Arrêt sur images diffusé dans " Enfin pris ? " Finalement, Pierre Carles aurait pu se passer d’enregistrer ses conversations privées avec D. Schneidermann, il suffit de regarder les émissions publiques de ce dernier pour se faire une idée.

Jacques-Olivier Teyssier

 
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Notes

[1Pierre Bourdieu, " La télévision peut-elle critiquer la télévision ? Analyse d’un passage à l’antenne ", Le Monde Diplomatique, avril 1996 ; Daniel Schneidermann, " La télévision peut-elle critiquer la télévision ? Réponse à Pierre Bourdieu ", Le Monde Diplomatique, mai 1996

[2Pierre Carles, " Enfin Pris ", 2002

[3Daniel Carton, " Bien entendu... c’est off " Albin Michel, 2003, 200 pages, 15 €.

[4Référence à Mazarine, fille de François Mitterand. Daniel Carton écrit que Valéry Giscard d’Estaing aurait usé de son influence pour que C. de Veyrac, " une très proche collaboratrice ", figure en bonne place sur la liste RPR aux élections européennes de 1999.

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